Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parfaitement compris et apprécié par un esprit lucide et ingénieux, moteur puissant et nécessaire de l’action d’un cœur dévoué.



XVI.


Dès le lendemain, les premiers bans furent publiés ; mais, dès le lendemain aussi, Sept-Épées se mit au travail de la fabrique, et il voulut y entrer comme simple compagnon, tenant à montrer qu’il honorait plus que jamais le travail manuel, et qu’il était plus habile et plus prompt que pas un de ceux qu’il aurait bientôt sous sa gouverne. Il ouvrit le soir un cours d’instruction pratique qui prouva aussi le droit qu’il avait d’enseigner, et, après la leçon, il se mêla à ses anciens et nouveaux camarades, qui tous voulaient fêter son retour, et auxquels, par sa franche cordialité, il montra bien qu’il serait toujours un ami sérieux et un bon frère.

Tonine eût souhaité que son mariage se fît sans plus d’éclat que celui des autres artisans du pays, mais il ne dépendit pas de sa volonté d’empêcher les préparatifs de la Ville-Noire. Huit jours durant, les enfans cueillirent dans la campagne une véritable montagne de fleurs qui fut mise au frais dans un des nombreux réservoirs des écluses, et qui, le jour des noces, se trouva transformée et distribuée en guirlandes gigantesques et en gracieux arcs de triomphe sur tout le passage du modeste cortège. Ce cortège devint bientôt si nombreux qu’on eût dit d’une fête patronale suivant la procession. Après la cérémonie, il y eut un banquet général sur les gazons qui entouraient le bassin de la grande barre. Chaque famille apporta là son repas, et toute la population mangea et chanta pendant que les deux époux, avec le petit groupe de leurs amis intimes, déjeunaient sans faste sous les lilas de la petite île, recevant et rendant les toasts qui s’élevaient de tout l’amphithéâtre du rivage. De jeunes compagnons, parés de fleurs et portant leurs insignes de cérémonie, amenèrent ensuite un petit radeau pavoisé, ouvrage de leurs mains, sur lequel les deux époux furent invités à monter pour faire le tour du bassin et recevoir les caresses et les félicitations de tout le monde. Tonine fut priée d’ouvrir le bal, et on la vit danser pour la première fois dans une fête. Elle y mit tant de grâce et de modestie que chacun l’admirait de s’être abstenue jusque-là de tout plaisir et de toute coquetterie par prudence et par pudeur.

Cependant Tonine s’interrompit plusieurs fois pour demander si personne n’avait vu Audebert. Quelque livré qu’il fût à son caprice, le vieux poète n’oubliait jamais ses affections, et on s’étonnait qu’en un pareil jour il ne fût pas là. On commençait même à s’inquiéter, lorsqu’il parut enfin sur le haut du gros rocher, qui commençait à projeter son ombre bienfaisante sur la fête. Il amenait avec lui Savé-