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mois après le sacre de Notre-Dame, il allait prendre à Milan la couronne des rois lombards. Sans traité et sans combat, et comme s’il était désormais dispensé même du soin d’imposer, par des victoires ses volontés nouvelles, il réunissait le Piémont et l’état de Gênes à la France, constituait en Italie un royaume dont il commettait l’administration à son fils adoptif, et jetait sur Naples l’un de ces regards qui séchaient déjà les dynasties dans leurs racines. Moins d’une année après la proclamation de l’empire, il découpait des fiefs pour les princesses de sa famille dans ces provinces d’Italie sur lesquelles les empereurs d’Allemagne avaient réclamé des droits séculaires toujours héroïquement contestés. Pour répondre à ces actes dont la hauteur dédaigneuse avec laquelle ils étaient accomplis aggravait encore la portée, l’Angleterre avait refusé l’évacuation de Malte, et la guerre maritime était sortie de la politique qui prétendait pour elle au droit de bouleverser le monde en réclamant des autres l’exécution ponctuelle des traités. La guerre territoriale allait suivre, car dès 1805 le continent commençait à entrevoir le plan de Napoléon, et il était encore bien loin de lui soupçonner la force nécessaire pour l’accomplir.

Le coup de tonnerre d’Austerlitz déchira tous les voiles, et, le front couronné de foudres, le dominateur du continent apparut alors dans son omnipotence. Le traité de Presbourg, fruit de cette grande victoire, constitua le nouvel empire dans les conditions où l’avait compris son fondateur, car ce traité imprima à l’établissement impérial une couleur militaire et féodale qui n’avait rien de l’antique monarchie ; il le revêtit d’une sorte de caractère européen aussi étranger au génie de la France historique qu’à l’esprit de sa révolution récente. « L’empereur et M. de Talleyrand, prôneur assidu des créations de ce genre, avaient à eux deux conçu un vaste système de vassalité, comprenant des ducs, des grands-ducs, des rois sous la suzeraineté de l’empereur, et ayant non pas de vains titres, mais de véritables principautés, et conservant tous sur les trônes qu’ils allaient occuper leur qualité de grands dignitaires de l’empire français… Ces rois dignitaires de l’empire devaient avoir un établissement royal au Louvre approprié à leur usage ; ils devaient former le conseil de la famille impériale, et même élire l’empereur dans le cas où la ligue masculine viendrait à s’éteindre[1]. »

Porté, d’un seul bond par la victoire dans le palais qu’avaient habité Marie-Thérèse et la longue suite de ses aïeux, Napoléon avait dès 1806 conçu la pensée, M. Thiers le reconnaît lui-même, de remplacer sur tous les trônes de l’Europe les princes de la maison de Bourbon par des princes de la famille Bonaparte. Joseph partit pour

  1. M. Thiers, tome VI, p. 464.