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Belle Jardinière, une musculature accusée et puissante qui rappelle à la fois Michel-Ange et Fra Bartolomeo. Le succès obtenu par ses tableaux de chevalet avait donné à Raphaël le désir de se mesurer avec Léonard de Vinci et avec Michel-Ange. Il n’avait pas l’intention de quitter Florence, car il écrivait, en date du 11 avril 1508, à l’un de ses oncles une lettre où il lui demande de lui procurer une recommandation du magistrat d’Urbin (il prefetto) pour Soderini, afin d’être chargé parle gonfalonier de peindre une salle du Palais-Vieux. Il dut renoncer à ce projet. Bramante avait parlé de lui à Jules II, et il fut appelé à Rome pour prendre part aux immenses travaux que le pape faisait alors exécuter au Vatican.


III

Raphaël arriva à Rome dans le courant de l’année 1508 ; il avait alors vingt-cinq ans. Chaudement recommandé à Jules II par Bramante, son compatriote, il fut immédiatement chargé par le pape de décorer de quatre grandes fresques la salle du Vatican dite de la Signature. Il se mit aussitôt à l’œuvre, car au mois de septembre de cette même année il était déjà surchargé de travaux, et écrivait à Francia pour le remercier de lui avoir envoyé son portrait, « qui est si beau et si vivant qu’il croit le voir et lui parler, » et il s’excuse de n’avoir pu remplir sa promesse en lui faisant tenir le sien. « Mes occupations graves et incessantes, dit-il, m’ont empêché de le peindre de ma propre main, suivant notre convention. J’aurais pu le faire exécuter par un de mes élèves et le retoucher, mais cela n’eût pas été convenable. » Il est certain que, malgré la confiance en son talent que lui avaient sans doute donnée ses succès récens à Florence, la tâche qu’il venait d’accepter était faite pour absorber toute son activité et lui défendre toute autre préoccupation.

Le projet que Raphaël avait proposé au pape, et que celui-ci avait adopté, était en effet l’un des plus grandioses qu’un artiste eût encore imaginés. Il s’agissait de représenter dans quatre vastes compositions allégoriques la Religion, la Science, les Beaux-Arts et le Droit. L’Urbinate ne se dissimulait pas qu’en choisissant de pareils sujets, il serait forcé de rompre avec toute tradition, de se passer d’exemples, de marcher par ses seules forces dans une route nouvelle. C’est à cette obligation de créer qui lui fut imposée par la nature des sujets qu’il avait choisis, ainsi que par les dispositions et par l’étendue des espaces qu’il devait décorer, que nous devons le développement rapide, presque instantané, que prit son génie sous l’empire de circonstances particulières, et l’épanouissement de facultés d’imagination que ses premiers travaux ne faisaient point pressentir. Il faut dire aussi que le spectacle de Rome, avec ses