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quitter, fût-ce un peu brusquement, le rôle de narrateur critique pour indiquer nous-même quelle pourrait être la marche suivie par le gouvernement dans la voie pénible, mais glorieuse, où la France s’est engagée. Et pour procéder par ordre, voyons d’abord ce qu’il y aurait à faire ; nous verrons ensuite quel est, de la plume ou de l’épée, l’instrument le plus propre à accomplir la besogne.


I

En tout pays, même peuplé et civilisé, il n’est peut-être pas de point plus délicat à déterminer que la part qu’il convient à un gouvernement de prendre dans la distribution de la richesse publique et dans la direction de l’activité sociale. Au nom des théories les plus diverses, les devoirs les plus opposés ont été assignés aux gouvernemens, et par suite les reproches les plus contraires leur ont été aussi adressés. On les a tour à tour accusés de pécher par excès et par défaut, par incurie et par esprit d’envahissement, de refuser leur concours aux efforts des individus ou d’entreprendre sur leur liberté. Suivant qu’ils s’abstiennent ou qu’ils agissent, ils prêtent à l’imputation soit de laisser tout aller à l’abandon, soit de vouloir forcer la nature des choses, et, par une rencontre étrange, ces griefs contradictoires sont souvent vrais l’un et l’autre. On peut citer plus d’un état en Europe qui a prodigué à son industrie les entraves sous le nom d’encouragemens, tandis qu’il laisse son commerce mourir d’inanition, faute de s’être préoccupé de lui tenir des débouchés ouverts. C’est qu’en cela, comme en toutes choses, la limite où le droit et le devoir de l’état se rencontrent avec la liberté des individus est obscure et cachée dans des profondeurs que l’instinct politique seul sait pénétrer, ou bien plutôt cette jointure, de laquelle dépend toute la souplesse des mouvemens du corps social, n’a son jeu tout à fait régulier que chez ces nations heureuses où gouvernement et citoyens ne sont qu’une même chose, et où, tous les intérêts privés ayant leur part dans une représentation générale, ce sont eux en réalité qui se gouvernent eux-mêmes en se contrôlant les uns par les autres.

Mais nulle part peut-être plus que dans une colonie naissante il n’est embarrassant de définir avec certitude quels sont les progrès qu’on est en droit de demander à l’action collective de l’état, et quels sont ceux qu’on ne peut attendre que de l’initiative individuelle. Une colonie, et principalement une colonie qui n’est point née de l’essor spontané du commerce et des intérêts privés, mais dont la politique et la guerre ont, de propos délibéré, à un jour donnée