Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/999

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juin 1860.

La visite que l’empereur des Français va faire au prince-régent de Prusse à Bade est un acte auquel nous donnons volontiers une signification heureuse. L’opinion en Europe est en proie à une maladie que nous ne nous sommes point fait faute de signaler et de décrire, car nous sommes de ceux qui pensent que la première condition pour chasser le mal, c’est de le montrer tel qu’il est, et, autant que possible, d’en pénétrer les causes. La maladie d’opinion qui étreint l’Europe, c’est l’inquiète défiance qui l’empêche de croire à la paix. Les esprits, bien plus encore que les choses, ont été violemment déplacés par les événemens de l’année dernière. Ils sont sortis des limites pacifiques où ils avaient pris l’habitude de se mouvoir, de ce lit qu’ils ont besoin de voir creusé devant eux pour s’abandonner avec sécurité à leur activité régulière. L’avenir assurément n’appartient à personne, et l’imprévu nous ménage toujours des surprises à travers ses obscurités. Cependant, pour que nos sociétés modernes, qui vivent par la spéculation, le crédit et le travail, l’abordent avec confiance, il faut qu’il leur apparaisse, dans les horizons prochains, éclairé de lueurs assez plausibles pour faire au moins illusion. Quand elles cessent de voir leur chemin devant elles, elles sont prises de la peur de l’inconnu. La peur de l’inconnu est une maladie politique dont nous ne croyons pas qu’il soit possible d’exagérer la gravité, quand elle envahit les esprits, les intérêts, les gouvernemens. « On ne meurt que de peur, » disait une des femmes les plus spirituelles du XVIIIe siècle. Cette boutade est une vérité en politique ; la peur y a tué bien des choses. Le dernier exemple (il dispense d’en citer d’autres) est celui de notre république de 1848, morte de la frayeur, bizarre et puérile, accordons-le, mais en tout cas terriblement réelle, que le fantôme de l’année 1852 fit à notre nerveuse patrie. Une hypocondrie de ce genre s’est maintenant emparée de l’Europe. On l’a traitée jusqu’à présent par de bonnes paroles, des déclara-