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serait plus la même. S’il convenait à l’Autriche d’aller brusquer à Naples la lutte dont on la menace, elle n’aurait pas à recourir à de bien grandes subtilités diplomatiques pour démontrer qu’en agissant ainsi elle ne commettrait point un acte d’intervention, qu’elle ne ferait que combattre sur son terrain d’attaque un ennemi qui n’est point à la tête, il est vrai, d’un gouvernement officiel, mais qui a hautement annoncé l’intention de la chasser de la Vénétie, et même de soulever la Hongrie. Malgré les bruits qui ont couru ces jours derniers, nous ne pensons pas que l’Autriche commette la faute d’aller au-devant de Garibaldi jusqu’à Naples, car, comme elle serait, pour cela, obligée de passer sur un territoire devenu, de fait au moins, piémontais, il faudrait qu’elle eût préalablement fait remonter au Piémont la responsabilité des actes de Garibaldi. L’Autriche est payée pour ne point céder à de tels mouvemens d’impatience. Il n’est pas sûr du reste qu’elle regarde comme contraires aux intérêts futurs de sa politique les progrès de la confusion dans les affaires italiennes. Nous croyons donc, comme on nous l’affirme de bonne source, que l’Autriche est résolue à ne marcher ni au secours du roi de Naples, ni au secours du pape, si Garibaldi était assez habile et assez heureux pour passer sur le corps du général Lamoricière. Nous croyons que l’Autriche attendra l’attaque dans la Vénétie ; mais là s’arrête la protection que le principe de non-intervention a jusqu’à présent donnée aux Italiens, en admettant même qu’en droit cette protection puisse s’étendre aux garibaldiens conquérans du royaume de Naples. Arrivés sur les frontières de la Vénétie, les Italiens, devenus agresseurs, le seraient à leurs risques et périls.

Il n’est plus permis de se méprendre sur les dispositions qu’inspirent aux deux autres puissances, la Russie et la Prusse, les perspectives que nous signalons. On connaît les liens anciens qui unissent la cour de Pétersbourg à la cour de Naples. Il y a là une vieille amitié qui s’est cimentée encore aux épreuves de la guerre de Crimée. L’irritation qu’inspirent les événemens de Naples à la cour de Pétersbourg n’est un mystère pour personne. L’irritation ne paraît pas être moins vive à la cour de Berlin. Nous ne discutons pas et nous approuvons moins encore les sentimens de ces cours ; nous remarquerons seulement qu’ils sont conformes à leur situation, et qu’il fallait s’y attendre. Tout est contagieux dans nos sociétés européennes. Comment veut-on que des chefs d’état qui sont assis sur le principe de la légitimité, et auxquels le triomphe du principe des nationalités enlèverait quelques-unes de leurs plus belles provinces, contemplent avec indifférence, ou plutôt ne redoutent pas comme un menaçant exemple, ces expéditions de volontaires s’organisant dans un pays neutre pour aller renverser des trônes, changer des dynasties, et former, sous le prestige d’un général populaire, une sorte d’armée cosmopolite de la révolution ? Il est un droit naturel de légitime défense qu’on ne peut s’attendre à voir abdiqué par aucun pays, par aucune institution, par aucun régime politique. Il est donc puéril de s’abuser volontairement sur ce fait certain, à savoir que la Russie et la Prusse sont hostiles à ce qui se passe en ce moment en Italie, et que, pour s’y opposer,