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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/1011

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ESSAIS ET NOTICES
LA GUERRE DU LIBAN ET L’ETAT DE LA SYRIE[1]


La guerre qui vient d’éclater dans le Liban n’était pas difficile à prévoir. Les hostilités de l’année dernière n’avaient été que momentanément suspendues, et bien que l’avantage fût resté aux chrétiens, les Druses brûlaient de prendre leur revanche. Et cependant, s’il l’eût voulu, le gouvernement turc eût aisément prévenu la catastrophe qui vient d’avoir lieu. En effet, que sont au fond ces adversaires si acharnés ? Des paysans aux mœurs patriarcales, dont chacun possède, une maison et un verger. Pour troubler la paix, il fallait la malice et la ruse de tiers intéressés à la ruine commune, tandis qu’il suffisait pour la maintenir de la moindre intervention d’un gouvernement bien intentionné, fût-il aussi faible même que celui de l’empire turc. Que les pachas de Damas et de Beyrouth se bornassent à empêcher les deux partis de venir dans ces deux villes acheter de la poudre et des armes, qu’ils eussent à leur disposition deux milliers d’hommes au plus prêts à se transporter dans la montagne au premier signal : ces mesures si simples auraient empêché toute collision sérieuse entre gens qui, après tout, ne vont à la guerre que malgré eux. Sauf quelques gros mots, quelques horions échangés, la paix n’eût pas été autrement troublée, et chacun se fût occupé de moissonner ses orges ou de fumer sa pipe le soir, entouré des siens, sous sa vigne et son figuier.

Au contraire, que fait le gouvernement turc ? De longue main ses agens excitent les Druses contre les chrétiens, et les chrétiens contre les Druses, promettant au faible de l’appuyer contre le fort, au fort de le laisser faire. En même temps les Druses, pendant tout l’hiver, demeurent libres de s’approvisionner d’armes et de munitions, et lorsque les chrétiens, à leur tour, commencent à prendre leurs mesures, on les empêche de sortir des villes avec leurs armes habituelles, sans lesquelles, en tout temps, aucune personne prudente ne s’aviserait ici de voyager ou de prendre l’air. Les Druses ayant enfin terminé leurs préparatifs, le gouvernement retire précipitamment de Syrie toutes les troupes régulières, et. laisse Damas, la capitale, une ville de. cent cinquante raille âmes, sous la garde de moins de trois cents misérables soldats, La guerre alors éclate. Les consuls de France, d’Angleterre, de Russie et des autres puissances s’émeuvent, s’assemblent, délibèrent, font des représentations collectives et isolées au pacha de Beyrouth et au vice-roi de Damas, demandent des garanties pour la vie et les

  1. Nous recevons d’un missionnaire protestant quelques pages écrites a Damas très peu de jours avant les massacres qui ont ensanglanté cette ville, et auxquels l’auteur a échappé « par miracle, » nous écrit-il lui-même. On y trouvera, sur l’altitude du gouvernement turc, en Syrie et sur lai guerre du Liban, des informations qui n’ont rien perdu de leur opportunité.