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Au premier acte, nous sommes à Bagnères-de-Bigorre, au milieu d’une de ces sociétés mélangées que crée le rapprochement des diverses familles de la race humaine dans les villes de bains. Nous avons là sur le théâtre un médecin observateur, un capitaine, joueur acharné, plus occupé à perdre au jeu le butin conquis sur les Arabes qu’à soigner les rhumatismes gagnés au bivouac sous les nuits d’Afrique, un certain baron Meynadier, fat, impertinent et importun, qui fatigue de ses assiduités une certaine dame de Lancy, mère d’une charmante jeune fille et veuve en premières noces d’un certain comte Leone Mattei, qui l’avait abandonnée au bout de quelques mois de mariage. Cet agaçant baron Meynadier fatigue tellement la malheureuse femme par ses assiduités et s’ingénie avec un acharnement si visible à la compromettre, qu’elle perd enfin patience et lui déclare crûment que, s’il ose jamais se présenter devant elle, elle le fera chasser par ses valets. Le baron, exaspéré, cherche un moyen de se venger, et le capitaine Relier lui fournit justement ce moyen. Ce capitaine, qui vient de perdre au jeu jusqu’à son burnous, propose à son adversaire de continuer la partie en mettant pour enjeu un certain médaillon, lequel lui vient d’un camarade de l’armée d’Afrique, qu’on nomme le caïd Hamsa, mais qui se nomme en réalité le comte Leone Mattei, ainsi que l’a découvert du premier coup d’œil le baron Meynadier. Le baron tient la partie, gagne le médaillon, et au second acte nous voyons apparaître le caïd Hamsa, traîtreusement appelé à Paris par le message d’un inconnu.

Telle est l’action des deux premiers actes, les plus mauvais de la pièce. L’exposition est longue, confuse, légèrement invraisemblable, étale très grand défaut de ne pas engager l’action et de ne pas permettre au spectateur de comprendre le drame qui va s’accomplir. Le second acte est amusant, et c’est ce qu’on peut en dire de plus favorable, car il est très suffisamment grossier et tapageur. On y de jeune longuement, car le déjeuner cent vingt fois répété de l’heureux duc Job a mis en appétit les acteurs et les auteurs, et désormais aucune pièce ne pourra se passer de cet élément nouvellement introduit dans l’art dramatique. Je n’y vois, pour ma part, aucun inconvénient. On a souvent reproché au théâtre contemporain de s’attacher trop complaisamment à reproduire des mœurs transitoires que la prochaine génération ne pourra plus comprendre ; quelques innovations du genre de telle que nous signalons remédieront à cet inconvénient. Si on ne peut exprimer les mœurs éternelles du cœur, il est peut-être bon d’exprimer au moins les mœurs éternelles de l’estomac. Le cœur sent de telle ou telle manière aux diverses époques ; mais souper est de tous les temps, et les fonctions de l’estomac ne varient pas. Il y a quelques jolis mots dans ce second acte tout rempli des bruyantes gaietés du caïd Hamsa, heureux d’oublier un instant les fatigues de l’armée d’Afrique, des mots qui, je ne sais pourquoi, m’ont rappelé l’esprit particulier à M. Edmond About. J’en prends un au hasard, qu’on a fort applaudi : — « Que fait-on des vieilles femmes à Paris ? demande à une jeune soubrette le caïd étonné de ne rencontrer que des femmes jeunes ou à peine vieillissantes. — Oh ! monsieur, on les renvoie en province. » Ne vous semble-t-il pas reconnaître les saillies de Maître Pierre ou du Roi des Montagnes ?

Le troisième et le quatrième acte sont les meilleurs, et contiennent quelques