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le but vers lequel, en s’ébranlant, marchaient nos légions ; elles ont combattu pour servir en Italie les principes au nom desquels se font toutes les révolutions.

Maintenant ce serait peut-être le lieu de poser une question à nos adversaires : Dites-vous des Alpes comme Pascal des Pyrénées, « vérité au-delà, erreur en-deçà ? » Pourquoi redouteriez-vous en France ce que vous suscitez en Italie ?


II

L’état de l’Italie laisse incertaines deux graves questions que le temps seul peut décider. D’abord la conception des hommes politiques de ce pays, cette conception née de la raison d’état plutôt que de l’instinct des masses, la réunion de toutes les parties de l’Italie septentrionale sous une même monarchie est-elle destinée à réussir ? Puis, fût-elle par elle-même destinée au succès, la laissera-t-on définitivement s’accomplir, et aucune force étrangère n’interviendra-t-elle pour l’entraver, pour provoquer localement ou généralement une réaction contraire ? La France ne peut pas grand’chose à la solution favorable de la première question ; elle peut beaucoup pour celle de la seconde, et si elle parvient à empêcher une ingérence diplomatique ou armée de répéter dans la péninsule quelque chose qui rappelle le précédent toujours invoqué de 1820, elle aura plus fait contre les principes et les œuvres de 1815 que par ses victoires mêmes de Crimée et de Lombardie. Heureux le jour où les nations abandonnées à elles-mêmes disposeraient seules de leurs destinées ! Dussent-elles se perdre, que ce soit du moins par leur propre faute !

Mais quoi qu’il advienne de l’Italie, quelle que puisse être sur la constitution intérieure de la France l’influence de nos victoires, ce ne sont pas là les seules conséquences qui doivent préoccuper les esprits, celles qui excitent le plus de sollicitude et projettent le plus de nuages sur le fond de l’avenir. Le changement apporté par la dernière guerre, soit dans la distribution des territoires et des populations décrétée à Vienne il y a quarante-cinq ans, soit dans les relations des puissances signataires de ces traités entre elles, est une nouveauté plus frappante et plus considérable qu’une révolution même. Une révolution, c’est chose commune : nul ne s’étonne quand il lit dans le journal qu’une mutinerie de peuple ou d’armée vient de décider un roi absolu à changer de ministres, ou à donner une charte ; mais plus de deux cinquièmes de siècle se sont écoulés pendant lesquels on s’était persuadé que l’uti possidetis européen était une arche sainte qu’on ne pouvait toucher sans encourir l’arrêt d’un aréopage de rois. C’était une de ces extrémités que même par la pensée on craignait d’aborder, et lorsque l’homme d’état qui a