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— Allons loin, bien loin de ce tombeau ! gravissons la montagne) disait Hermine en serrant convulsivement le bras de Jean.

Le Faouët est dominé par de hautes collines qui descendent presque à pic jusqu’à un ravin traversé par l’Ellé. Au revers de l’une de ces collines, de celle qui touche le Faouët, est pour ainsi dire collée une charmante chapelle gothique. Bâtie sur une étroite corniche formant balcon à mi-côte, la chapelle semble suspendue au-dessus de l’abîme. La colline opposée est aride, désolée, semée d’innombrables pierres grises. Ni pâtres, ni troupeaux pour animer cet austère paysage ; la bruyère seule prend vie sur ce sol caillouteux. Du pied de la chapelle, tout au plus aperçoit-on quelquefois tout en bas, au bord de la rivière, quelque pêcheur immobile derrière sa ligne ou ses filets.

C’était dans cette solitude qu’Hermine voulait conduire Jean ; mais pour y atteindre il fallait suivre pendant plus d’une heure les détours d’un sentier escarpé, et la pauvre enfant chancelait dès les premiers pas.

— Arrêtons-nous, disait Jean, effrayé par la respiration sifflante d’Hermine.

— Non, non, répondait la jeune fille, je suis forte, très forte aujourd’hui.

Au bout de dix minutes, Hermine tomba épuisée sous les sapins qui bordaient la route. — Vois, dit-elle à Jean avec tristesse dès qu’elle put parler, en lui montrant les nuages qui semblaient toucher la cime des arbres ; vois, c’est ce ciel qui me tue. Tout est froid, tout est sombre dans ce pays ; si j’y reste plus longtemps, je mourrai.

Jean avait peine à retenir ses larmes.

— Tu me retrouves bien changée, n’est-ce pas ? reprit-elle en examinant avec anxiété le visage bouleversé de Jean ; tu penses aussi, toi, que je vais bientôt mourir… Non, reprit la jeune Bretonne avec exaltation en serrant les mains de Jean dans ses mains brûlantes, non, sois tranquille, je ne mourrai pas. Pour vivre, il me faut toi, du soleil, de l’espace ; j’aurai tout cela, car nous allons partir ensemble. Mon père ne pourra pas m’en vouloir : il ne me retiendrait pas, s’il savait ce que je souffre… On n’a jamais vu de père tuer son enfant, n’est-ce pas ? Figure-toi, continua-t-elle en fixant sur les yeux de Jean ses yeux démesurément agrandis, figure-toi que la nuit, quand je rêve à demi éveillée, il m’arrive souvent de ne plus comprendre pourquoi ma famille me repousse, pourquoi mon père ne m’écrit pas, pourquoi je suis si malheureuse… Je t’ai aimé, tous t’aimaient autour de moi… Je voulais voyager, voir et connaître tout ce qu’il y a de grand, de beau en ce monde. Je voulais communiquer