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sensualité superficielle, une vaniteuse ostentation de science et d’habileté, une recherche continuelle des belles formes indépendamment de toute signification, et que cette dégradation des beaux-arts a été intimement liée à la disparition de l’esprit chrétien et au retour de l’Europe vers le paganisme.« Contre la papauté corrompue, dit-il, surgirent deux grandes classes d’adversaires : les protestans en Allemagne et en Angleterre, les rationalistes en Italie et en France, les premiers réclamant l’épuration de la religion, les autres sa suppression. Le protestant garda la religion ; mais avec les hérésies de Rome il rejeta les arts, et il se fit ainsi un grand tort, car il amoindrit grandement son influence morale. Le rationaliste conserva les arts et rejeta la religion… C’est cet art rationaliste qui est communément désigné par le nom de renaissance, art marqué par le parti-pris avec lequel il revient aux systèmes païens, non pour les adopter et les élever jusqu’au christianisme, mais pour se ranger à leur suite comme imitateur et comme disciple. En peinture, il a pour chefs Jules Romain et Nicolas Poussin ; en architecture, Sansovino et Palladio. Avec lui se manifeste aussitôt la décadence dans toutes les directions ; partout c’est une mer montante de sottise et d’hypocrisie. Des mythologies d’abord mal comprises, tombant bientôt dans de folles sensualités, se substituent à la représentation des sujets chrétiens, devenus blasphématoires sous des brosses comme celles des Carraches. Des dieux sans puissance, des nymphes sans innocence, des satyres sans rusticité, des hommes sans caractère humain, s’entremêlent en groupes imbéciles sur la toile polluée, et des affectations théâtrales encombrent les rues de leurs marbres insolens. L’intelligence, abusant d’elle-même, descend de plus en plus ; une vile école de paysage usurpe la place de la peinture historique, tombée dans un pédantisme cynique. C’est le règne de Salvator Rosa avec ses sublimités de la cour des miracles, de Claude Lorrain avec son beau idéal de pâtissier-confiseur, de Guaspre Poussin et de Canaletto avec leur morne et monotone fabrication, et pendant ce temps, dans le nord, des existences assotées se dévouent patiemment à copier des briques, des brouillards, des bœufs gras et des fossés boueux. »

M. Ruskin est encore plus impitoyable pour caractériser l’architecture de la renaissance, avec sa règle des cinq ordres, ses éternelles proportions, et ses formes invariables de moulures, de pilastres et de corniches. Dans d’admirables pages, il lui demande compte de son pédantisme dédaigneux, qui ne voulait s’adresser qu’aux doctes érudits et aux lettrés, à ceux qui avaient lu Vitruve ; de sa servilité glorieuse, qui, pour se pavaner d’érudition, réduisait tout mérite à connaître et à répéter dans la perfection les formules grecques et