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les plus nombreuses et par conséquent les plus intéressantes. Le mauvais côté, c’est qu’il a été imposé à l’agriculture d’une façon trop brusque, trop subite, et que ce mouvement ascensionnel a malheureusement été plus rapide dans les dernières années qui viennent de s’écouler, alors précisément que le trop bas prix des grains maintenait dans la gêne la plupart de nos exploitans du sol. Il a donc fallu se résoudre, presque en un seul jour, à payer plus cher la main-d’œuvre et à vendre moins cher les produits ; en un mot, l’agriculture a souffert et souffre encore, ce qui constitue déjà un mal fort regrettable.

Du reste le mal n’est pas tout entier dans cette circonstance. Par suite d’un autre reflet des villes sur les campagnes, nous en sommes venus, pauvres agriculteurs, à nous trouver, comme quelquefois les manufacturiers, en présence de véritables coalitions. La plupart de nos travaux, et c’est peut-être le côté le plus fâcheux de la profession agricole, ne peuvent être remis. Sous peine de pertes énormes, il faut accomplir rapidement ceux qu’indiquent la saison, l’état du ciel, la maturité des récoltes. Or, en présence et sous le coup de cette nécessité absolue, comment se refuser aux exigences qu’imposent alors des hommes qui peuvent attendre plusieurs jours, qui ont au cabaret du village compté leur nombre sans cesse moindre, calculé le besoin qu’on a d’eux, et bientôt compris qu’ils pouvaient abuser de cet avantage pour se faire payer un salaire en disproportion avec les justes profits du maître ?

Il n’est pas d’industrie qui domine moins ses ouvriers que celle de la terre. L’agriculteur ne peut pas déplacer son capital ou son outillage et répondre à la coalition par un changement de domicile. L’agriculteur ne peut pas, comme le propriétaire d’une fabrique, caserner tous ses agens sous ses yeux, et les surveiller ou faire surveiller tout le jour. Les travaux à faire sont trop épars et trop variés pour que cette surveillance soit continue. Je sais qu’avec le travail à la tâche quand il est applicable, et avec un assolement judicieux quand on a su le choisir et l’organiser, plusieurs de ces ennuis sont diminués, mais ils ne peuvent jamais être entièrement évités.

Rêve-t-on, comme ressource radicale, la suppression entière de la main-d’œuvre par la conversion en prairies et en pâturages des terres labourées, et la substitution des bêtes de rente aux hommes employés jusqu’à ce jour ? La campagne de Rome, l’Ecosse ont ainsi procédé depuis longtemps, et avec avantage pour les propriétaires du sol, quoique ce changement y ait été opéré sous l’empire d’autres circonstances ; mais toutes les situations et tous les terrains ne se prêtent pas également bien à un pareil mode de culture. Il reste donc, — c’est le but à poursuivre énergiquement avec l’amélioration de la terre par le drainage, le marnage et les engrais, — il reste l’exploitation