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nègres ou mulâtres. Tous étaient vêtus avec autant de convenance et certainement avec plus de goût qu’on n’en trouve dans nos écoles les jours de fête. Quand le ministre arriva, le recueillement fut complet, et il ne se démentit point jusqu’à la fin. Le sermon avait été prêché en anglais, car Saint-Thomas est en réalité plus anglais que danois ou espagnol, et le journal du lieu, le S. Thomœ-Tidende, qui se sert de la langue danoise pour les actes officiels et les annonces légales, est obligé de publier le reste en anglais pour être compris du plus grand nombre de ses lecteurs.

J’avais parcouru ainsi, presque sans m’en douter, toute la ville basse. La chaleur était devenue plus forte, et je sentais le besoin de chercher un abri en dehors de la réverbération des murs blancs. Je m’aventurai dans un chemin pierreux qui montait en pente douce jusqu’à la région des arbres. De chaque côté s’échelonnaient de jolies maisons en briques, entourées de galeries, dont les fenêtres ouvertes laissaient voir de frais intérieurs pleins de femmes décolletées et d’enfans demi-nus. A mesure que j’avançais, ces habitations devenaient plus rares et plus humbles. Les dernières n’étaient que de pauvres cabanes gardées, en l’absence du maître, par quelque vieille mulâtresse. Toutefois cette pauvreté même n’avait rien de triste : la beauté du ciel embellissait tout. Au sommet d’un mamelon, une antique tour ruinée rappelait que Saint-Thomas avait été jadis l’un des refuges favoris de ces fameux boucaniers qui pendant deux siècles ont rempli la mer des Caraïbes de la terreur de leur nom, La végétation était un peu grêle ; de temps en temps, une grappe de fleurs éclatantes rappelait seule la flore américaine. Je montai sur le point culminant du mamelon de la tour. D’autres baies, d’autres anses, d’autres ports inconnus et de nombreux îlots se dessinaient à droite. Devant moi scintillait la route lumineuse que je devais parcourir. J’entrevis à l’horizon de cette route un panache de fumée se rapprochant de Saint-Thomas. Ce ne pouvait être que le steamer attendu du continent américain. Quand je redescendis en effet, une demi-heure plus tard, la tête pleine encore du spectacle qui m’avait ravi, le Thames entrait fièrement dans la rade, et venait se ranger à une encablure de la coque noire de l’Atrato.


II. — L’ISTHME DE PANAMA.

Le Thames n’était ni un alcyon ni un clipper ; mais, exposé aux capricieuses bourrasques trop communes dans ces parages, il possédait les qualités requises de solidité et de résistance. Son loch indiquait en moyenne huit nœuds à l’heure, et la tourmente pouvait bouleverser ses agrès sans modifier ses allures et son balancement