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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/472

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des Évangiles à Charles-Quint montre combien était profonde l’ignorance de ce prince, dont la vie se passa au milieu des controverses théologiques. Les aveux mêmes de Charles-Quint, recueillis par l’historien Sandoval, prouvent qu’il n’alla jamais, en fait d’études, au-delà des élémens de la grammaire, et qu’il était encore enfant quand on l’arracha aux leçons de ses maîtres pour l’appliquer aux affaires. C’est pour cette raison qu’il fermait l’oreille aux propositions des hérétiques, craignant de se laisser séduire par leurs doctrines et de n’être pas en état de réfuter leurs argumens. À la diète d’Augsbourg, il avait d’abord refusé d’entendre lire la confession des luthériens ; puis, par une inconséquence singulière, il fit traduire cette même confession en latin et en français pour la répandre par toute l’Europe. C’est ainsi que les doctrines luthériennes, mitigées il est vrai, mais réduites en symbole, avaient pu pénétrer en Espagne, non sans y produire une certaine agitation. L’habitude de Charles-Quint dans les affaires de religion était d’ailleurs de suivre aveuglément les maximes des moines ou prélats, ses conseillers. Enzinas nous en cite l’exemple suivant.

Francisco de San-Roman appartenait à une riche famille de commerçans de Burgos. Une question d’intérêt l’ayant amené à Brème, il eut occasion d’entendre prêcher un ministre de la religion, ancien prieur des augustins d’Anvers. Touché de ses paroles, il eut plusieurs conférences avec le prédicateur, et bientôt, oubliant l’objet de son voyage, il se mit à lire et à commenter l’Écriture. Il composa des catéchismes et autres traités religieux, écrivit trois lettres à l’empereur touchant les choses de la religion et la pacification de ses états ; puis, avec l’enthousiasme d’un néophyte, il adressa des exhortations pressantes aux Espagnols qui résidaient à Anvers. Ceux-ci le dénoncèrent aux autorités ecclésiastiques, après quoi ils lui persuadèrent de venir les rejoindre. À peine San-Roman était-il arrivé à Anvers que les moines s’emparèrent de sa personne, le soumirent à un interrogatoire sévère, brûlèrent tous ses livres protestans, même le Nouveau-Testament. Quand il eut avoué tout ce qu’on désirait de lui, on le relégua dans une tour solitaire à six lieues d’Anvers, où il passa six mois. Remis en liberté, il ne s’arrêta qu’une vingtaine de jours à Anvers, et sans écouter les conseils d’Enzinas, son compatriote et son ami, il se rendit à Ratisbonne, où se tenait alors la diète (1541). Triomphant de tous les obstacles, il se présenta trois fois à l’empereur, l’engagea à établir dans tout l’empire la vraie religion, celle des protestans, et à veiller au service de Dieu et à la paix de ses états. L’empereur l’écoutait patiemment, lui répondait avec douceur que ces affaires le préoccupaient fort, et qu’il verrait à les terminer de son mieux. La quatrième fois que San-Roman se présenta, les Espagnols se saisirent de lui, et ils allaient le précipiter