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Vers la même époque, c’est-à-dire quelques années seulement après la confession d’Augsbourg, vivait à Alcala le docteur Mateo Pascual, savant théologien, hébraïsant distingué, profondément versé dans la connaissance des Écritures. La lecture de la Bible était alors une mauvaise recommandation. Dans les universités, où la tradition de l’enseignement scolastique régnait encore à côté des méthodes et des principes introduits par la renaissance, on appréciait surtout les dialecticiens, les disputeurs subtils, et par dérision l’on appelait biblistes les théologiens qui préféraient la méditation des textes sacrés aux arguties de saint Thomas et de Duns Scot. Bibliste pouvait devenir synonyme d’hérétique. Un jour que Mateo Pascual défendait devant un grand concours d’auditeurs une thèse de théologie, il s’échauffa dans la dispute, et battit pleinement son adversaire ; mais celui-ci, reprenant avec malice ce que le docteur avait dit, l’exposa à sa manière, ajoutant comme conclusion que, si les choses étaient telles, il s’ensuivait qu’il n’y avait point de purgatoire. « Et puis ? » reprit Pascual, attendant sans doute la suite de ces conclusions. Pour ce seul mot, dont le sens pouvait paraître ambigu, il fut incontinent arraché de sa chaire, traduit devant le tribunal du saint-office et mené en prison. Il y passa des années, tandis qu’on instruisait sa cause. Finalement, n’osant le condamner au feu sur un seul mot, l’inquisition le relâcha, non sans avoir confisqué tous ses biens.

Un nouvel épisode peut servir à caractériser cette période des premières manifestations réformistes en Espagne. Pedro de Lerma, né à Burgos, appartenait à l’une des grandes familles de la Péninsule. Il avait suivi par vocation la carrière ecclésiastique. Docteur de Sorbonne, chancelier de l’université d’Alcala, chanoine et prédicateur ordinaire de la cathédrale de Burgos, il jouissait d’un revenu considérable ; sa réputation s’étendait par toute l’Espagne. Dès sa jeunesse, il avait pris l’habitude de lire et de méditer l’Écriture, et il s’était insensiblement dégoûté des sophismes captieux et des arguties scolastiques. Dans sa vieillesse, il lut les écrits d’Érasme ; cette lecture acheva de le détacher de la vieille théologie de l’école. Sa prédication se ressentit de cette double influence ; elle prit un caractère qu’on ne connaissait point dans les églises catholiques. Les moines dénoncèrent le prédicateur à l’inquisition. Pedro de Lerma, à l’âge de soixante-dix ans, fut jeté brusquement en prison. L’inculpé récusa hardiment le tribunal, et déclara qu’il ne consentirait jamais à disputer avec des juges ignorans et passionnés. Il les engagea à mander quelque théologien étranger qui pût entendre ses raisons et reconnaître son innocence. Les inquisiteurs, qui faisaient soutenir leur infaillibilité dans les écoles, accusèrent Pedro de Lerma d’avoir proféré un blasphème. Finalement ils le contraignirent à se dédire publiquement, dans toutes les grandes villes