Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/504

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous croire raisonnablement que l’annexion de Naples donnera au gouvernement du roi Victor-Emmanuel et de M. de Cavour la force qui lui serait nécessaire pour être modéré le jour où le mouvement unitaire aurait triomphé par les voies révolutionnaires dans toute l’Italie ?

Nous regardons en conséquence le rétablissement du régime constitutionnel à Naples comme une occasion dont M. de Cavour, s’il consulte son honneur et ses intérêts, l’honneur et les véritables intérêts de l’Italie, devra profiter pour imprimer un temps d’arrêt au mouvement unitaire trop précipité qui expose le Piémont et la péninsule à de si graves dangers. En parlant ainsi, nous avons le sentiment que nous ne cédons à aucune malveillance ni à aucun préjugé contre l’unité italienne. Si cette unité est dans la nature des choses, on l’assurera bien mieux dans l’avenir en attendant loyalement l’épreuve des nouvelles institutions napolitaines, et en ayant la patience de consolider les résultats acquis avant de tenter de nouvelles aventures. Nous ne sommes ni de ceux qui subordonnent les intérêts des peuples aux droits des souverains, ni de ceux qui veulent mesurer l’essor des autres nations aux convenances égoïstes de leur propre pays. Cependant, au nom du roi de Naples et au nom de la France, de sérieuses considérations recommandent les conseils que nous donnons aux politiques italiens. Le roi de Naples est jeune, et personne ne songe à lui imputer la responsabilité de l’absurde et odieux régime que son père lui avait légué ; plusieurs de ses oncles sont notoirement dévoués aux idées nationales et libérales : il faut surtout nommer parmi ces princes le comte d’Aquila, que nous avions depuis plusieurs mois signalé comme devant exercer une influence heureuse dans la réforme du gouvernement napolitain, et dont la conduite dans les derniers événemens a confirmé toutes nos prévisions. Une révolution ne serait justifiée à Naples que si le roi et les princes de sa famille, dont il écoute aujourd’hui les conseils, manquaient aux garanties libérales et nationales qui viennent d’être données. C’est une politique non-seulement injuste, mais funeste pour un peuple, que de renverser un gouvernement avant d’avoir épuisé toutes les formes et tous les moyens par lesquels il est possible de rendre l’existence de ce gouvernement compatible avec les droits, les intérêts et les progrès populaires. La sagesse et l’honnêteté conseillent donc de donner franc jeu, comme disent les Anglais, a fair trial, à la nouvelle politique du roi de Naples. La France, de son côté, a le droit de demander au Piémont de se prêter avec patience et de bonne foi à cette épreuve. Nous ne réclamons pas ce droit pour la France au nom des services qu’elle a déjà rendus au Piémont, nous l’invoquons au nom même de ceux qu’il attend d’elle encore. Le Piémont doit trouver bon en effet que nous ne négligions rien pour conjurer ou éloigner les périls qu’il affrontera sans crainte, si nous lui tenons compagnie. Si même certaines délicatesses pouvaient être senties de peuple à peuple, nous avertirions les patriotes italiens qu’ils se tromperaient grossièrement, s’ils pensaient flatter la France en poussant un cri brutal de