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la dissolution ottomane, et, comme un nouveau Baudouin, entrer à cheval dans Sainte-Sophie ?

Si nous avions besoin d’une preuve frappante pour montrer le profit que la France peut retirer pour sa politique extérieure de la continuation de la paix, ce serait l’Allemagne qui aujourd’hui nous la fournirait. Dès que l’Allemagne se croit menacée par une entreprise française, elle s’efforce d’oublier ses divisions : elle s’unit. Dès qu’elle se rassure sur nos intentions, elle se remet à se chamailler, et reprend ses querelles sempiternelles avec elle-même. L’entrevue de Bade nous a procuré la représentation de cette double évolution. À en juger par les coups de plume qu’échangent les organes des petites cours, de la Prusse et du parti de Gotha, il faut reconnaître que l’entrevue de Bade a terriblement réussi, et que l’empereur des Français a complètement rassuré les Allemands, puisqu’ils se disputent de si bon cœur sur le caractère et les résultats de cette fameuse entrevue. Quelle est la politique qui à Bade a fait des concessions ? Voilà la question qui s’agite encore. C’est la Prusse qui a cédé, disent les feuilles des cours secondaires ; la Prusse a donné des assurances qui permettent d’espérer que l’entente va régner sur toutes les grandes questions de la politique fédérale. Pas du tout, disent les journaux prussiens : les princes allemands se sont groupés à Bade autour du prince-régent non comme des alliés autour d’un allié, mais comme des serviteurs faibles et pusillanimes autour d’un maître puissant. Nous n’interviendrons pas dans ce débat : nous craindrions de faire cesser aux dépens de la France la discorde où se plaisent les journaux allemands. Nous aimons mieux supposer que les défenseurs des états secondaires n’ont pas tort et que les champions de la Prusse ont raison. Cependant, malgré la haute opinion que nous avons du parti de Gotha, nous avouerons qu’il nous semble manquer souvent d’équité et dans les éloges qu’il décerne à la Prusse et dans les invectives dont il accable les petits états. Ce parti met trop de complaisance à représenter la Prusse comme la terre classique et le seul refuge de la liberté, du progrès, des sentimens nationaux en Allemagne, et trop d’affectation à traiter comme une Béotie le reste de la confédération. En vérité, la Prusse n’a pas le droit de revendiquer pour elle le monopole du libéralisme et des institutions constitutionnelles. Les états secondaires, surtout ceux du midi, ont joui de la vie constitutionnelle depuis quarante ans ; ils ont traversé bien des crises, mais ils ont fini par en sortir avec des institutions solidement établies. Prenons la Bavière par exemple : deux fois étouffée, de 1837 à 1847, par le ministère ultramontain et absolutiste Abel, de 1850 à 1858 par le ministère réactionnaire von der Pfordten, elle a de ses propres forces brisé ses entraves et rétabli la pureté du régime constitutionnel. C’est la persévérance calme et le courage civique des électeurs, réélisant à deux reprises une chambre deux fois dissoute pour son opposition au ministère von der Pfordten, qui ont enfin fait écrouler ce dernier, et forcé le roi Maximilien à déclarer qu’il voulait vivre en paix