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Italiens ou des élèves de maîtres italiens. Ce n’est guère qu’au commencement de notre siècle, alors que Beethoven, Spohr et surtout Weber dégagèrent le génie national de l’influence toute-puissante des Italiens, que des chanteurs dramatiques animés de l’esprit de ces maîtres s’élevèrent en Allemagne pour interpréter les chefs-d’œuvre de la nouvelle école. Fidelio de Beethoven, Faust de Spohr et surtout le Freyschütz de Weber suscitèrent toute une génération de chanteurs parmi lesquels on remarque la Sohroeder-Devrient, la Milder-Hauptrmnn, Forti, admirable baryton ; Vogl, Haitzinger, qu’on a admiré à Paris, Staudigl et le brillant artiste dont nous venons de raconter la longue carrière. Les qualités et les défauts qui distinguaient ces chanteurs de mérites différens, c’est une grande vérité d’expression, plus de vigueur que de grâce, un grand respect pour la pensée du maître de la passion, de la force, souvent de la naïveté, mais peu de goût et aucune flexibilité vocale. L’art de chanter proprement dit, qui est indépendant de l’application qu’on peut en faire plus tard, cet art précieux et délicat d’assouplir l’organe vocal par des exercices gradués qui en augmentent les ressources et en consolident la durée, est presque ignoré des chanteurs allemands de la nouvelle école. De la voix, l’intelligence de la scène et quelques connaissances musicales, voilà tout ce qu’on exige aujourd’hui en Allemagne, malheureusement aussi en Italie, d’un artiste chargé d’interpréter les divers sentimens qui forment le fond d’un drame lyrique : encore faut-il de la flexibilité, de la souplesse d’accent et de l’élégance dans le style, pour rendre les grands et admirables effets du Freyschütz, d’Euryanthe et d’Oberon ; mais pour des œuvres comme le Tannhauser et le Lohengrin, il n’est besoin que de bons poumons et de nerfs vigoureux. Wild, qui a connu personnellement Mme Milder-Hauptmann, une des grandes cantatrices allemandes de la nouvelle école, pour qui Beethoven a écrit le rôle important de Leonora dans Fidelio, assure qu’elle n’était pas plus musicienne que la Catalani, ce bel oiseau du pays de l’aurore. Grande, bien faite, d’une noble prestance, douée d’une magnifique voix de soprano aussi étendue que vibrante et vigoureusement timbrée la Milder-Hauptmann paraissait destinée par la nature à représenter des personnages héroïques comme Iphigénie, Armide, Médée, Fidelio ou la Vestale ; Elle avait peu étudié l’art de chanter proprement dit, mais un instinct dramatique de premier ordre lui révélait des nuances et lui faisait rencontrer des accens qui remuaient la foule. Ce qui peut nous donner une idée du talent de Mme Milder-Hauptmann, qui a quitté le théâtre vers 1836, c’est celui de Mme Schroeder-Devrient, qu’on a entendue à Paris en 1831 avec le fameux ténor Haitzinger, qui acheva sa brillante carrière hélas ! dans une maison de fous à Carlsruhe.

L’artiste dont nous venons de résumer les souvenirs, François Wild, a été en définitive un chanteur de mérite, dont le public a vivement apprécié pendant quarante années la belle voix de ténor, l’intelligence dramatique, la chaleur communicative et le goût relativement plus pur que celui de la plupart de ses compatriotes. Né en Autriche comme Haitzinger, dont la voix splendide et le talent n’étaient pas moins remarquables, François Wild a été, avec la Milder-Hauptmann et la Schroeder-Devrient, l’un des interprètes les plus admirés des chefs-d’œuvre dramatiques de la nouvelle école allemande. À ce titre, le nom de Wild appartient à l’histoire de l’art.