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sans compter le transport dans l’intérieur, où l’art céramique se réduit à quelques amphores indiennes fabriquées de temps immémorial par les femmes de Massaya. On ne peut, quoi qu’on fasse, séparer l’œuvre complet du canal des nombreuses créations qui s’y rattachent impérieusement. Du jour où cette grande opération aura donné lieu à un premier effort, fût-ce avec des ressources très limitées, il en sortira une société nouvelle, vivant, dès le lendemain de sa naissance, de ses propres exploitations, et trouvant peut-être dans l’imprévu de ces exploitations la source puissante et la garantie matérielle du capital nécessaire.

Depuis le point de réunion du Sarapiqui au San-Juan, je n’avais aperçu ni maison, ni cabane, ni éclaircie, rien qui révélât la présence de l’homme. On n’aurait pu désirer une solitude plus absolue. Aucun indice ne faisait même présager que je dusse de si tôt entendre un bruit humain autre que celui de mes compagnons de route, et je me perdais dans la contemplation de ces deux bordures d’arbres, dont la hauteur, ajoutée à celle du plateau qui les supportait, me semblait vertigineuse, lorsqu’au moment où j’y pensais le moins je vis sur ma droite des branches fraîchement coupées, un taillis ouvert, une place dégagée au sommet de la berge, et finalement un toit de palmes. Je me crus en présence de la hutte d’un bûcheron ; mais le bouillonnement d’un rapide voisin me prouvait que le voyage par eau s’arrêtait là. J’étais au Muelle, la station et le port du Sarapiqui, le bureau de douane de Costa-Rica du côté de l’Atlantique et le siège d’une espèce de commandement civil et militaire à la vérité sans soldats.

Le débarcadère se composait d’un escalier taillé en pleine terre noire conduisant à une plate-forme élevée de vingt-cinq pieds environ. Il pleuvait depuis une demi-heure. Je m’armai de mon parapluie et d’un portefeuille qui contenait quelques lettres de recommandation, et je gravis les marches étroites et glissantes de cette échelle d’argile. Au sommet se trouvait un grand rancho, invisible d’en bas, où cinq ou six hommes blonds et robustes travaillaient à l’abri. Je me fis conduire par l’un d’eux auprès du commandant de la station, pour lequel j’avais une lettre de Paris. C’était un homme jeune encore, tête nue, figure espagnole, portant des lunettes d’or, mais simplement vêtu. Pendant qu’il lisait la lettre, je jetai un coup d’œil dans son habitation. Elle était entièrement vide : pas un meuble, pas un hamac, pas même un escabeau ; le sol nu, sans autre abri que le toit ; seulement une moitié de la case était fermée par des traverses de roseaux à claire-voie, et au-dessus un plancher, aussi à claire-voie, servait de refuge pour la nuit et laissait entrevoir une forme de lit garni d’une moustiquaire. Il s’y trouvait une femme assez jolie, vêtue d’une robe à l’européenne, qui avait fermé son corsage à