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vitalité, l’attrait des bras et des capitaux, l’ébranlement de toutes les forces de la civilisation accourues à leur secours.

Le poste du Muelle n’avait pas, comme on le voit, une importance excessive. Les fonctions du commandant consistaient à délivrer des laisser-passer aux cent tonnes de marchandises qu’il avait l’occasion d’enregistrer dans le courant d’une année, et, sur le vu de cette pièce, le paiement des droits de douane se faisait à San-José même. Le plus modeste commis, le plus infime officier aurait largement suffi à cette besogne, qui ne représentait pas en bloc deux heures de travail par an ; mais c’est une des plaies des républiques issues de l’ancienne domination espagnole que cette prodigalité de grades et de titres sonores appliqués aux plus humbles emplois ou rémunérant les plus minces services. Le gouvernement de Costa-Rica est peut-être celui qui a le mieux résisté à cette infirmité originelle, car naguère il ne comptait, je crois, que deux généraux en activité, tandis que ceux de la Colombie et du Mexique ne comptent plus les leurs. Toutefois l’exemple du commandant du poste de Sarapiqui prouve que ce gouvernement est encore loin de la perfection sous ce rapport, tout en méritant de grands éloges pour l’ensemble de son organisation militaire et civile.

Mon installation temporaire fut des plus simples. Le mobilier de l’établissement, où me conduisit le commandant de la station, et qui était occupé par les travailleurs que j’avais vus en arrivant, se composait d’une armoire, d’une table longue munie de ses deux bancs et de six lits rangés, trois par trois, sur les deux grands côtés du hangar ; on m’en réserva le meilleur. Ces lits n’étaient vraiment que des tables, dont les quatre pieds prolongés supportaient les quatre cordes tendues de la moustiquaire. Autour de ce rancho, un vaste espace presque carré avait été dépouillé d’arbres et divise en plusieurs enclos fermés par des barrières. Ces enclos séparaient des cultures diverses, cacao, café, bananiers, goyaviers, ignames et même légumes d’Europe. Les barrières, dont les traverses étaient attachées avec des lianes, n’avaient d’autre utilité que de soustraire les jeunes pousses des végétaux aux ravages d’une vache qui broutait dans la clairière et d’une douzaine de porcs qu’on engraissait avec du maïs. La vue de cette vache fit naître en moi un caprice de sybarite. J’avais déjà remarqué que les habitans du hangar buvaient beaucoup de café en mangeant du riz cuit à la graisse et mélangé de viande séchée au soleil. Lait et café me promettaient un déjeuner parisien. Je ne pouvais mieux désirer à deux mille lieues des côtes de France.

Quant à mes hôtes, qui me laissaient disposer de leur domicile avec une bonhomie toute biblique, c’étaient de vrais ouvriers d’outre-