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arrivés à midi à la première de ces stations, la Virgen, située à quatre lieues seulement de la colonie allemande, et j’aurais bien voulu aller coucher le même jour à San-Miguel, cinq lieues plus loin. Au premier mot que j’en touchai à mon guide, il se récria sur l’impossibilité de passer le Sarapiqui sans courir le risque d’être entraîné par les grandes eaux. On m’avait parlé en effet de ces passages de la rivière dans le voisinage de ses sources comme d’un péril sérieux. Je me résignai. Le guide insistait d’ailleurs sur ce point, que j’étais l’ami d’un homme considéré qui s’était fié à lui pour m’amener sain et sauf à San-José de Costa-Rica, et il y aurait eu ingratitude à ne pas se rendre à une si bonne raison, appuyée d’une lettre de M. Léonce de Vars à son querido Ramon Alvarado. Ramon Alvarado ! Mon guide descendait-il de ce George de Alvarado qui, en 1530, commença la conquête du pays sur les populations indigènes voisines de la baie de Salinas ? Sa mise et sa profession n’annonçaient point une illustre origine ; mais ces indices ne prouvaient à la rigueur que l’instabilité de la fortune. Je devais rencontrer quelques jours plus tard, dans des conditions diverses, les plus grands noms de l’époque des conquistadores, les Herrera les Gutierrès, les Espinosa, les Gonzalès, les Bonilla et tant d’autres. Dans tous les cas, don Ramon n’était pas un guide ordinaire : propriétaire et largement à son aise, comme tous les Costa-Ricains, il jouissait d’une réputation d’intégrité et de prudence qui lui faisait confier les missions les plus délicates, et il était aussi connu dans sa modeste position que s’il eût occupé l’une des premières magistratures du pays.

Ce n’est qu’à partir de San-Miguel, la seconde station ou plutôt le second rancho, que commence véritablement l’ascension des montagnes. J’étais loin de soupçonner toutes les difficultés de cette escalade. Une pente raide, abrupte, lézardée, traversée d’obstacles de tout genre, contournait successivement les mamelons en gradins de la sierra, séparés les uns des autres par des ravins au fond desquels s’engouffraient des torrens plus ou moins dangereux. Nous ne marchions pas, comme en Europe, sur un sol compact, avec le roc pour point d’appui. L’épaisse couche d’humus des bords du Sarapiqui remontait avec nous, et la pierre ne se montrait que sous la forme de roches arrondies et sans cohésion entre elles, comme celles que j’avais remarquées dans les rapides de la rivière, comme celles que j’ai retrouvées depuis dans les trop fameux rapides du Sah-Juan. Aussi, quand une descente succédait à une montée, il arrivait quelquefois que ma mule se contentait d’arc-bouter ses deux pieds de devant et de se laisser glisser jusqu’en bas comme sur de la glace. J’avoue que je n’eus pas toujours le courage de tenter cette aventure de montagne russe. Il me restait alors la ressource de glisser moi-