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promis tout, car je croyais pouvoir tout tenir, et j’étais loin de supposer que je serais écarté des sphères officielles le jour même où j’apporterais un traité glorieux pour la France, avec les preuves matérielles d’une véritable conquête pour ses intérêts et pour son influence morale.

Lorsque, retiré le soir dans ma chambre, je repassai les incidens si inattendus de cette journée, je fus épouvanté à l’idée que le gouvernement costa-ricain se faisait peut-être illusion en me prêtant une mission diplomatique. Une phrase du journal ministériel, la ville si subitement pavoisée, quelques señor ministro que j’avais entendus, d’autres circonstances d’abord inaperçues, me faisaient craindre un malentendu sur ma position. Je n’hésitai pas. J’écrivis à l’instant même au président Mora que je n’étais qu’un simple particulier, que je n’avais aucun titre officiel, que je n’avais droit à aucun témoignage public. En voyant partir le lendemain matin le courrier extraordinaire qui devait lui remettre ma lettre deux heures après, je me sentis soulagé d’un grand poids. Je ne voulais pas que mon silence pût donner lieu à de fausses interprétations, et j’eus soin de renouveler six semaines plus tard, au début des conférences de Rivas, cette déclaration en termes très explicites.

Je devais arriver ce jour-là à San-José, qui n’est qu’à cinq ou six lieues d’Alajuela. En remontant à cheval, je retrouvai mon escorte augmentée de toutes les autorités de la ville. Le gouverneur tenait à m’accompagner jusqu’à moitié chemin, et son insistance affectueuse ne me permit pas de m’opposer à cet acte de courtoisie excessive. Il n’y avait que deux uniformes dans la cavalcade, ceux des officiers supérieurs envoyés par le président. Le général lui-même portait un habit noir comme les autres, et sa physionomie, pleine de bonté, n’annonçait rien de militaire. J’ai su depuis que ces commandans de province ne sont que des généraux de milice, sans solde comme sans service actif, négocians pour la plupart ou grands propriétaires, et ne ressemblant en rien à nos autorités divisionnaires. Les chefs mêmes de l’armée active de Costa-Rica ne portent point d’uniforme : c’est un luxe réservé aux aides-de-camp du président et à quelques officiers détachés, car si la république compte assez sur le patriotisme de ses enfans pour en faire du jour au lendemain, à l’appel du salut public, des soldats et des généraux, elle est trop pauvre ou plutôt elle est trop sage pour les habiller, et elle n’exige d’eux que du dévouement.

Il faisait un temps merveilleux, le temps normal du plateau costa-ricain, oscillant de 18 à 22 degrés Réaumur, selon l’heure de la journée. Les chevaux n’avaient pas les allures coquettes des chevaux de parade, mais ils ne manquaient ni de feu ni de sang, et nous marchions d’un bon pas sur une route unie de la largeur de nos routes