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sans un ensemble de maisons vivantes, bâties en pierre ou en briques, sans le bruit des voitures sur le pavé et des mille voix de la rue ; quoique j’eusse éprouvé déjà quelques déceptions sous ce rapport, je me promettais toujours pour San-José une espèce de revanche. On m’avait tant répété que c’était une ville de vingt mille âmes, riche, prospère, connaissant le luxe et pleine de ressources, que je m’en étais fait d’avance un tableau de fantaisie digne de son beau ciel. Qu’on juge de mon désenchantement en retrouvant à San-José les toits rouges, les maisons basses, presque le camp de baraques d’Alajuela, sans un seul arbre. Il était à peu près midi. Les rues s’allongeaient en ligne droite, désertes et silencieuses. Arrivé devant une place nue, je remarquai une église dont la façade me rappela le style rococo du XVIIIe siècle, puis, derrière cette église, un édifice à un étage, d’une architecture presque italienne, que surmontait un drapeau tricolore[1]. Plusieurs groupes étaient arrêtés devant cet édifice. Ils s’effacèrent pour nous laisser passer. Un factionnaire pieds nus, placé sous le cintre de la porte d’entrée, nous présenta les armes. J’avais devant les yeux le palais national, le siège du gouvernement et du congrès de Costa-Rica, le seul véritable monument de San-José et l’une des œuvres les plus remarquables de l’administration de M. Mora.

Un quart d’heure après, je recevais une nouvelle lettre du ministre des affaires étrangères me félicitant, au nom du président, de l’heureuse issue de mon voyage. Le ministre lui-même, don Nazario Toledo, l’un des signataires futurs de la convention de Rivas, ne tarda point à se présenter. Il venait s’entendre avec moi sur les dispositions à prendre pour la conduite secrète des conférences. C’était le lendemain que je devais, dans une première audience, exposer mes vues au président Mora. J’étais entré de plain-pied dans cette carrière nouvelle qui m’a souri un moment, et qui serait la plus belle de toutes, si la loi morale gouvernait le monde.


VII. — LE PRESIDENT MORA.

En abordant cette partie de mon récit, je suis obligé de revenir un peu en arrière dans la filiation d’idées dont la convention de Rivas n’a été que la formule diplomatique. Me pardonnera-t-on une excursion assez longue dans le domaine personnel ? Qu’on veuille bien le remarquer du moins, les souvenirs que je recueille ici touchent à des questions d’intérêt général, soit qu’on n’y cherche que des données exactes sur l’état du Centre-Amérique, soit qu’on se préoccupe des rapports de cette fraction da Nouveau-Monde avec

  1. Le drapeau costa-ricain est formé de cinq bandes horizontales rappelant les couleurs françaises, le rouge au milieu, le bleu sur les bords.