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de ce passage, déjà condamné par les plus grandes autorités[1]. Le tracé du Nicaragua au contraire s’était fortifié depuis 1846 de toutes les impossibilités reconnues à Panama, à Tehuantepec et au Darien, et Napoléon III ne pouvait abandonner une telle conception au moment où l’épreuve du temps et des travaux ultérieurs justifiaient ses calculs et ses prévisions. Il est vrai que j’apportais au plan de 1846 des modifications de tracé qui lui enlevaient une partie de son ampleur primitive ; mais ces modifications s’expliquaient par des nécessités de position et de nouvelles conditions politiques dont j’étais obligé de tenir compte. Arrivant dans un pays bouleversé par la guerre civile, par l’invasion étrangère, et désirant mettre un terme à ses divisions intestines pour grouper toutes ses forces contre l’ennemi commun, j’avais dû chercher dans l’œuvre même du canal une solution aux difficultés pendantes et le point de départ d’une confédération nouvelle de tous les états centro-américains. Or tous ces avantages s’offraient dans un tracé plus court, plus direct et peut-être plus économique que celui du prince Louis-Napoléon, si la science, ultérieurement consultée, le reconnaissait praticable, celui de la Sapoa à Salinas, et dans l’association du gouvernement de Costa-Rica à celui du Nicaragua pour la concession d’un privilège qui les intéressait également et qui leur donnait une frontière naturelle. Tel était l’esprit général de la convention que j’avais préparée. Elle ne tranchait aucune question technique ; elle laissait aux hommes spéciaux le rôle et la décision qui leur appartenaient. Elle ne manifestait qu’une préférence pour la coupure directe de Salinas ; mais cette coupure, indiquée par plusieurs explorateurs, répondait si heureusement aux besoins d’union, de solidarité et de régénération de la famille centro-américaine, indépendamment de ses autres mérites, qu’elle m’avait paru la combinaison la plus désirable à tous les points de vue. L’avenir n’en restait pas moins au tracé plus grandiose qui portait sur les cartes espagnoles le nom de Canale Napoleone. Il y avait place pour bien d’autres réalisations dans les éventualités prévues de cette immense affaire. L’essentiel était de lui donner au début une base indiscutable, d’en faire, si c’était possible, le ciment des états divisés de l’Amérique centrale, et d’effacer, à force de concorde et de témoignages pacifiques, les funestes préventions européennes contre les nationalités de race latine du Nouveau-Monde.

Il ne fallait pas en effet se dissimuler que l’indifférence de l’Europe, et notamment de la France, en présence des invasions dont ces nationalités étaient menacées, avait surtout pour origine et pour excuse le spectacle permanent d’anarchie et de révolutions inté

  1. En tête desquelles il faut placer M. Michel Chevalier, dont la Revue a publié elle-même le remarquable travail sur la question dans son numéro du {{1er janvier 1844.