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lignes de sarcastiques tableaux qui soulageaient son cœur. Ces lettres pouvaient-elles être destinées à la publicité ? Évidemment non. L’éditeur a beau citer un passage où Humboldt donne ces billets et ces notes en toute propriété à son vieil ami Varnhagen, c’est abuser du texte et méconnaître l’esprit du donateur que de voir dans ces paroles l’autorisation expresse dont on se prévaut. Deux choses à mon avis dominent et décident la question : ces lettres de Humboldt à Varnhagen sont écrites pour la plupart sous une impression de colère (je parle de celles qui ont fait scandale), et de plus les détails qui les remplissent, intéressans peut-être pour le jour ou le lendemain, sont tout à fait insipides à distance, parfois même absolument inintelligibles. Humboldt, malgré sa verve railleuse, avait trop le respect des convenances sociales, respect souvent timide et toujours cérémonieux, on le verra tout à l’heure ; il avait trop le sentiment, je dirai presque le souci, l’inquiétude des convenances littéraires, pour livrer ainsi à la foule des paroles peu méditées. Quelques semaines avant la mort de l’illustre maître, un publiciste libéral, M. Jacques Venedey, lui ayant demandé l’autorisation d’inscrire son nom à la première page d’un livre intitulé Frédéric le Grand et Voltaire, Humboldt accepta la dédicace de cet ouvrage, puis, retirant pour ainsi dire sa promesse en même temps qu’il l’accordait, il ajouta ces mots : « J’ai la ferme confiance qu’il ne résultera de votre livre aucune complication pénible pour un homme des anciens jours, un vieillard de quatre-vingt-dix ans. J’ai eu bien assez de désagrémens littéraires dans ma vie. » Voilà Humboldt avec sa circonspection facilement alarmée, avec sa modestie si l’on veut, et ne se croyant pas suffisamment protégé par sa gloire contre la responsabilité d’une dédicace qui l’inquiète. Et ce sage, ce délicat esprit, très libéral à coup sûr, mais prudent jusqu’à l’excès, aurait destiné à une publicité retentissante, on peut dire à une publicité de scandale, les libres propos, les futiles bavardages qu’on ne craint pas de répéter aujourd’hui, parce qu’on est bien sûr de les oublier demain ! En vérité, il faut une confiance d’une espèce particulière pour admettre de pareilles choses. Pourquoi donc Alexandre de Humboldt a-t-il donné ces lettres à Varnhagen d’Ense ? Pour quel usage les a-t-il déposées entre ses mains ? La réponse est bien simple : Varnhagen, historien de la société de son temps, très curieux de détails, d’anecdotes, de conversations intimes, était avec cela le plus discret des artistes. Il avait été longtemps diplomate ; il avait représenté le cabinet prussien auprès de plusieurs cours d’Allemagne ; il savait ce qu’il faut dire et ce qu’il faut taire, dicenda tacendaque, selon le précepte d’Horace. Certains critiques dont le jugement compte ont reproché à Varnhagen la réserve diplomatique