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d’Amérique peut être noble, obligée d’ouvrir pour vivre, sur ses derniers jours, une petite boutique d’épicerie et de mercerie ! Hawthorne a réussi admirablement à nous faire comprendre le sentiment de profonde déchéance qui remplit l’âme de cette descendante des puritains, de cette gentlewoman du pays des Yankees. Jamais dans les pays aristocratiques roi dépouillé de son royaume, grand seigneur ruiné n’ont été aussi cruellement tourmentés par ce sentiment amer qui semblerait ne devoir être qu’une illusion maladive dans un pays de démocratie, mais qui, au lieu d’y être affaibli, y est au contraire doublé par l’égalité des rangs, car, ainsi que le remarque finement M. Hawthorne, dans les pays de démocratie le rang n’a pas d’existence spirituelle qui survive à la fortune. Miss Hepzibah Pyncheon, dépouillée de sa fortune, n’est plus une lady, mais une pauvre femme, l’égale et même l’inférieure des commères plus ou moins cossues du quartier qui viendront achalander sa boutique, leur égale ou leur inférieure selon que les vêtemens de ces commères seront plus ou moins râpés, d’étoffe plus ou moins fine ; une nuance de plus ou de moins dans la qualité du vêtement déterminera l’égalité ou l’inégalité. Oh ! vanité du monde ! c’était bien la peine vraiment de descendre du colonel Pyncheon, ce solide pharisien au cœur rapace et cruel, qui fit jadis brûler le pauvre rêveur Mathew Maule, comme coupable de sorcellerie, pour s’emparer de ses biens ! La malédiction que la victime lança de son bûcher a été reçue, paraît-il, et enregistrée dans le ciel. Comme l’esprit d’Hawthorne est à l’aise, at home, dans la compagnie de ces sentimens douloureux ! L’imagination, cette faculté sans pitié qui tire son plaisir de la contemplation des plus grandes douleurs aussi bien que des plus grandes joies, suit avec une curiosité voluptueuse et cruelle les mouvemens de cette pauvre créature écrasée sous le fardeau de sa déchéance ; mais dès que l’arrivée de Phœbé fait entrer dans la vieille maison un rayon de jeunesse et de printemps, l’intérêt commence à languir, et l’imagination désappointée du lecteur dirait volontiers à l’écrivain : Éteignez ce rayon, chassez ce printemps, rendez-nous la solitude, et parlez-nous encore des tremblemens et des terreurs qui s’emparent des aines abandonnées.

En vérité, malgré l’admiration que mérite le récit intitulé the Scarlet Letter (la Lettre rouge), je ne crois pas qu’Hawthorne soit né pour le long roman. Les sentimens qu’il affectionne, qu’il décrit de préférence et qu’il connaît à fond, la solitude, l’abandon, l’ennui méditatif, excluent forcément le mouvement, le bruit, la vie. Or un roman doit être un petit monde en miniature dès qu’il dépasse les limites d’une simple nouvelle, ou d’une étude psychologique qui se donne pour telle. Livrés à eux-mêmes et en quelque sorte séquestrés de la foule, ses personnages ne font rien que rêver lugubrement (