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dessus de la volonté réparatrice des hommes, où les peuples enfin luttent, souffrent, expient souvent et ne meurent pas ; ils se retrempent quelquefois et s’éclairent toujours à la lumière de leur passé, interprété par de droites intelligences.

Des trois ou quatre races modernes qui à un moment donné ont jeté dans le monde le poids d’une idée, d’une force prépondérante ou d’une ambition plus grande encore que leur force, une des premières, la plus abaissée depuis longtemps, la plus livrée aux incertitudes d’une orageuse renaissance, est la race espagnole. L’Espagne n’est plus aujourd’hui qu’une puissance politique de second ordre ; elle a tenu autrefois dans ses mains l’écheveau embrouillé des affaires européennes. Lorsque la France et l’Angleterre en étaient encore aux guerres civiles, aux laborieuses crises de leur formation intérieure ou de leur extension nationale, elle était déjà dans la plénitude de la maturité avec son génie trempé par l’action et ses mœurs fortifiées par la profusion des libertés locales. Elle débordait sur l’Europe par les armes, par les lettres, même par ses florissantes industries, et elle se répandait jusque sur les continens nouveaux. Lorsque l’Angleterre et la France, souvent rivales, s’élevaient à leur tour et fondaient leur ascendant, l’Espagne n’était plus rien. Elle avait accompli cette retraite désespérée au bout de laquelle elle apparaît repliée en elle-même avec son génie éclipsé, sa puissance tombée en poussière, sa population amoindrie et sa fortune épuisée, attendant ce que le destin va faire de cette ombre de peuple. Qu’y a-t-il donc entre ces deux époques, entre ces deux situations si différentes ? Il y a une fausse impulsion, une politique d’enivrement et de déviation devenue la cause première de cette navrante décadence dont l’Espagne ne s’est relevée à demi que par une révolution dynastique au dernier siècle, et de nos jours par ces efforts, de rénovation plus profonde qui se poursuivent encore.

Ceux qui croient que les révolutions populaires ont seules le funeste pouvoir de détruire le caractère et la vitalité d’une nation, ceux-là ferment leurs yeux à la lumière du passé, et se refusent à compter les victimes que plus d’une politique absolue mit à mal en les poussant dans le piégé d’une fausse grandeur Ceux qui croient aussi que dans un pays dont tous les ressorts sont brisés, il suffit de remplacer un despotisme énervé par un despotisme plus intelligent et mieux inspiré, ceux-là se trompent encore et se font une idée aussi légère qu’inexacte des conditions véritables de la reconstitution d’une société. En serrant de plus près la réalité de l’histoire, ils verraient d’abord comment toutes les fascinations de la gloire militaire et d’une domination sans limites ne suffisent pas à dédommager un pays de ce qu’il perd, s’il doit acheter sa gloire au prix