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marque le point de départ de la décadence de l’Espagne en racontant le soulèvement des comuneros, ce livre d’un esprit monarchique et chrétien, patriote et érudit, eût sans doute conduit l’auteur dans un cachot il y a trente ans ; il le conduit aujourd’hui à l’estime et au succès. Ce n’est point par la politique que M. Ferrer del Rio est arrivé à l’histoire ; il s’y est préparé par l’étude désintéressée. C’est un simple écrivain qui n’a pas même profité d’une révolution pour être député, qui a commencé par des essais littéraires, par une série de portraits des plus éminens de ses contemporains, qui a été quelquefois aussi un publiciste sérieux, et dont le talent a grandi en se proposant un but plus fixe et plus élevé. Sans avoir rien à démêler avec la politique de tous les jours, ses deux livres sur le soulèvement des communautés de Castille et le règne de Charles III ont cet accent qui parle à l’esprit moderne, ce cachet de vie qui naît d’un choix intelligent des époques caractéristiques de l’histoire, et cette unité qui tient à l’enchaînement invincible des grands faits. Ses récits forment comme un drame où s’agite la destinée de la Péninsule, où se dessine dans la diversité des événemens la vigoureuse personnalité espagnole. On y sent une pensée virile, celle de montrer ce que le despotisme a fait d’une nationalité si forte, en la représentant dans les grandeurs plus apparentes que réelles de Charles-Quint, dans les détresses profondes de Charles II, et dans la renaissance généreuse, mais incomplète, dont Charles III fut au XVIIIe siècle le plus intelligent promoteur. C’est l’histoire de l’Espagne résumée dans le règne des trois Charles. Après cela, il n’y a plus qu’à arriver au temps présent, sur lequel rejaillissent toutes les lumières de ce passé où l’on voit se débattre un pays qui meurt de l’excès des pouvoirs absolus et qui ne peut revivre par eux.


I

C’est un moment curieux et décisif en Espagne, en Europe, dirai-je, que cette époque dont M. Ferrer del Rio décrit les traits principaux en cherchant à définir la scène où surgit l’insurrection des comuneros en face de la puissance naissante de celui qui va être l’empereur Charles-Quint, qui remuera le monde par la guerre et la diplomatie, dictera des lois aux peuples, fera un roi de France et un pape prisonniers, traversera huit fois la Méditerranée, trois fois l’Océan, et, après quarante années d’agitations, se réfugiera dans la solitude d’un cloître, laissant dans la politique la marque indélébile de son passage. Jusque-là, l’Espagne n’a point de rôle européen et n’est occupée qu’à se revendiquer elle-même, à être une nation ; elle devient tout à coup la force la plus compacte qui existe