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promptement en Espagne, de nommer des gouverneurs castillans, d’exclure les étrangers de toutes les fonctions et les dignités nationales, de garantir les droits du peuple par la régularité de la réunion des cortès et la liberté de leurs délibérations, d’interdire la sortie de l’or et de l’argent du pays. En un mot, ils demandaient à l’empereur de n’être plus empereur et d’être roi d’Espagne : là était vraiment le mot de la lutte qui alla se dénouer, le 23 avril 1521, par le triste combat de Villalar.

Si l’insurrection des communautés castillanes, au lieu de multiplier et d’étendre ses programmes, avait su s’organiser ; si, au lieu d’aller chercher dans sa prison la pauvre reine Jeanne, elle eût donné hardiment la royauté au frère de Charles, à l’infant Ferdinand, qui était né en Espagne et que l’empereur avait prudemment éloigné, elle aurait pu avoir un autre sort. Elle succomba, non parce qu’elle était injuste, mais par la confusion et les divisions, parce que les diverses provinces ne sentirent pas que leurs libertés locales étaient solidaires, qu’Aragon ne résisterait pas si Castille périssait, parce que les grands enfin, après avoir embrassé la cause commune, s’effrayèrent de ce qu’il y avait de populaire, de démocratique dans le mouvement, et firent leur paix avec l’empereur. Les principaux chefs de l’insurrection, Juan de Padilla, Maldonado, Juan Bravo, furent mis à mort. Pendant qu’on les conduisait au supplice, un crieur public répétait sur leur passage : « Voilà la justice que sa majesté a commandé de faire de ces traîtres. — Tu mens ! s’écria Juan Bravo ; l’amour du bien public a été leur seule faute, — Seigneur Juan Bravo, dit Padilla avec une douce fierté et calmant son compagnon, hier était le jour de combattre en chevaliers, maintenant c’est le jour de mourir en chrétiens. » Ceux qui ne jugent les événemens que par la fin et le succès, comme dit l’historien Sandoval, penseront que les comuneros ont eu tort, puisqu’ils n’ont pas réussi, et cependant ils représentaient toutes les traditions patriotiques de leur pays. Avec eux, la liberté castillane disparut, ou mieux encore ce fut l’esprit national qui fut vaincu. L’Espagne ne fut plus que l’instrument belliqueux et asservi de l’ambition d’un homme.

Lorsque, dix-sept ans plus tard, Charles-Quint, qui avait plus besoin de soldats et d’argent que de doléances, et qui ne se faisait faute de demander périodiquement de nouveaux tributs à des assemblées soumises, réunit encore une fois les cortès à Tolède en 1538, les grands, qui s’étaient faits impériaux contre les comuneros, eurent la singulière idée qu’ils pourraient réveiller les vieux griefs de l’Espagne. Ils l’essayèrent, et ils eurent l’air de résister. Charles leur envoya l’archevêque de Tolède, qui leur tint à peu près ce discours : « Seigneurs, sa majesté dit qu’elle a ordonné de vous