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continuer la campagne de Sicile a, autant que les exigences du Piémont, décidé le ministère à évacuer les dernières places siciliennes. Quoi qu’il en soit, ce défaut d’initiative, qui semble général à Naples, cette disposition à attendre le signal des influences ou des événemens du dehors, autorisent à penser que le succès de l’essai constitutionnel ne serait point impossible. Pour que la tentative réussisse, il faut d’abord que le Piémont le veuille, ensuite qu’il ait le pouvoir de contenir Garibaldi et les élémens révolutionnaires qui l’entourent.

Nous ne mettrons pas en doute la bonne volonté du Piémont. En ce moment même, le roi Victor-Emmanuel fait l’épreuve de ce qu’il peut avoir conservé d’ascendant sur Garibaldi. Il est vrai que l’appel du roi de Piémont au héros de la cause unitaire est plus froid et plus réservé qu’on n’eût pu l’attendre de la part d’un compagnon d’armes, et surtout d’un souverain. Il faut souhaiter que les avis verbaux que le roi envoie au général soient plus pressans que les termes de sa lettre. Nous ne supposons pas que, malgré la facilité de son humeur et sa gouailleuse bravoure, le roi Victor-Emmanuel puisse contempler sans souci la direction actuelle du mouvement italien. Nous en dirons autant de M. de Cavour. Le premier rôle a échappé au ministre qui, de 1856 à l’année dernière, avait conduit, dans la sphère de la diplomatie, avec tant de finesse et d’entrain les affaires italiennes. Les étranges et injustifiables procédés dont M. La Farina a été l’objet de la part de Garibaldi ont montré qu’il n’y avait plus d’entente entre le meneur politique et le meneur militaire du mouvement italien. Or, comme la fortune des événemens est aujourd’hui livrée à l’action, une telle rupture rejette M. de Cavour au second plan.

Les conséquences fâcheuses de ce divorce sont surtout appréhendées par ceux qui connaissent le caractère du général Garibaldi. Le chef des volontaires passe pour un esprit faible et qui se défend mal contre les influences qui l’entourent. Son patriotisme chevaleresque, sa vaillante passion pour les combats expliquent et justifient la fascination que Garibaldi exerce sur les imaginations, le prestige qu’il a conquis non-seulement dans son pays, mais auprès des masses à travers l’Europe. C’est bien là une idole populaire parlant aux rêves et aux entraînemens des multitudes. Malheureusement les qualités de Garibaldi profitent plus à ceux qui le manient qu’à lui-même. C’est un esprit politique sans force ; on a pu en juger par la mobilité des actes de sa dictature en Sicile. Il a perdu beaucoup à exercer pendant quelques semaines le pouvoir politique, et même à Milazzo, s’il a en effet ordonné lui-même les horribles fusillades qui ont suivi le combat, il faut convenir que l’on ne retrouve plus en lui cette généreuse galanterie militaire par laquelle il séduisait même ses adversaires politiques. Les gens bien informés ne croient pas que Garibaldi soit en ce moment le véritable dictateur de la Sicile. Sous son nom, derrière l’idole, d’autres têtes dirigent le mouvement qu’il sert de son bras et de son prestige. Des comités et des sociétés révolutionnaires