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devait-il être si lent à vaincre les objections de la Porte et à obtenir son consentement ? Les autres puissances ne pouvaient-elles réellement pas, dans cette expédition, joindre leurs drapeaux au drapeau français ? Était-il besoin de conférences si nombreuses et de tant de télégrammes échangés pour régler les dispositions nécessaires ? L’explication de ces retards douloureux est dans un seul mot : au lieu de rester uniquement une question d’humanité, la question de Syrie est devenue pour les puissances une question de politique, et chacun y a trahi ses ambitions et ses jalousies. Le résultat, c’est que la France enverra seule des troupes en Syrie, et que son corps d’armée ne sera que de six mille hommes. Nous retrouvons là encore un des effets du refroidissement de l’alliance anglaise. Dieu fasse que les chrétiens de Syrie n’aient point à souffrir de ces retards ! Dieu fasse surtout que la crise finale de l’empire ottoman soit ajournée ! Que n’aurait-on pas à redouter de l’explosion des rivalités auxquelles l’Orient donne lieu, puisque l’on a eu tant de peine et qu’il a fallu tant de précautions pour les contenir dans une circonstance où la voix de l’humanité parlait si haut !

Les problèmes, Dieu merci, ne sont point aussi brûlans et aussi redoutables en Allemagne qu’en Italie et en Orient ; pourtant le pays de l’Europe où les récentes secousses de la politique extérieure ont eu le plus de retentissement est l’Allemagne. La raison en est que l’Allemagne ne se sent point en possession de son organisation définitive, et que, l’ère des remaniemens de territoires ayant paru recommencer, chez aucun peuple ce phénomène politique ne pouvait soulever plus de craintes ou d’espérances, ouvrir une plus large carrière aux rêves de l’esprit de système qu’au sein du peuple allemand. Les événemens de l’année dernière et le peu d’initiative que nos institutions nous accordent dans les questions intérieures ont mis à la mode parmi nous les questions de politique étrangère. C’est une fort triste mode, si l’on en juge par les écrits auxquels elle a donné naissance, par les rêves dangereux qu’elle a encouragés dans certaines classes, par les inquiétudes qu’elle a excitées et entretenues dans la portion la plus saine de l’opinion, par les provocations gratuites qu’elle a fournies à la presse des pays voisins, et par l’aggravation qu’elle ajoute aux difficultés, déjà suffisamment périlleuses, qui existent dans les choses. Nous avons eu en France une vraie Babel d’écrits de ce genre, — gageures d’esprit, spéculations sur l’émotion du moment, billevesées chimériques, pédantesques niaiseries, ignorantes bévues, absurdités extravagantes, — dont le moindre inconvénient n’était pas de se présenter comme des témoignages de confiance et des tributs d’adulation offerts au pouvoir. Cela s’appelait Carte de l’Europe, Frontières du Rhin, Question irlandaise, Mac-Mahon roi d’Irlande, etc. Les Allemands avaient trop de choses à dire sur eux-mêmes, sur nous et sur tout le monde, pour ne pas suivre un si bel exemple. Des nuées de brochures sont écloses parmi eux. Un bien petit nombre révèlent un esprit politique ; mais il est curieux d’en étudier l’ensemble pour connaître les préoccupations et