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en lisant les Études sur l’Avenir de la Russie, publiées à Berlin sous le pseudonyme de Schedo-Ferroti.

La princesse Dachkof revint à Pétersbourg en 1782. Les succès qu’elle y obtint auprès des beaux esprits du temps ne furent pas étrangers à sa nomination comme directeur de l’académie des arts et des sciences, et l’année suivante comme président de la nouvelle académie russe. Moins elle avait brigué le singulier honneur de ces emplois, plus elle mit de modestie, d’application et de scrupule à les remplir. Elle ne voulut paraître à l’académie des sciences que sous les auspices du célèbre Euler. La publication des mémoires de cette académie était interrompue par le manque des caractères nécessaires ; son premier soin fut d’y pourvoir. En peu de temps, deux volumes, composés presque entièrement par Euler, furent publiés ; de nouvelles chaires furent érigées, et le chiffre des élèves fut considérablement augmenté. C’est surtout à la littérature russe qu’elle rendit un inappréciable service en la dotant, en moins de douze ans, d’un dictionnaire étymologique, auquel elle coopéra elle-même par la rédaction de trois lettres. Outre ces graves travaux, qui occupèrent dès lors tous ses loisirs, elle a laissé plusieurs traductions et diverses compositions, tant en vers qu’en prose. Cette situation académique rétablit ses rapports avec l’impératrice, mais ne lui rendit jamais entièrement ses bonnes grâces. Devenue craintive depuis les excès de la révolution française au point d’ôter de son cabinet le buste de Voltaire, Catherine en voulait à son ancienne confidente de ne pas confondre les abus de la liberté avec la liberté elle-même, et ne cherchait qu’un prétexte pour rompre de nouveau. Ses courtisans ne le lui firent pas longtemps attendre. La veuve de Kniajnin, poète tragique, demanda à l’académie l’autorisation d’imprimer, au profit de ses enfans, la dernière tragédie de son mari. Inspirée par le Brutus de Voltaire, cette pièce était intitulée Vadim de Novgorod. Kniajnin y faisait dire à son héros conspirant pour la liberté de son pays :

… Un roi
Joint les faiblesses d’un homme à la puissance d’un dieu.

Ce vers suffit pour faire brûler la tragédie par la main du bourreau et disgracier celle qui n’en avait point été choquée. La princesse Dachkof fut obligée de prendre un congé et de se retirer dans une propriété près de Moscou. Elle y passait ses journées entre le jardinage et la lecture, lorsque la nouvelle de la mort de l’impératrice vint l’y surprendre. Elle en ressentit une sincère douleur, aggravée par le pressentiment que des jours néfastes étaient arrivés. Bientôt en effet il n’y eut pas une famille qui ne déplorât parmi ses membres quelque victime confinée dans une forteresse ou exilée dans les déserts de la Sibérie. Le foyer domestique même n’était pas exempt de dénonciateurs. La princesse ne tarda point à savoir que l’empereur Paul l’avait destituée de tous ses emplois, et l’engageait à méditer dans la solitude de la campagne sur la journée du 27 juin 1762. À ce conseil, la princesse répliqua que le souvenir de cette journée ne lui avait jamais causé le moindre remords. Mécontent de cette réponse, Paul, qui n’en pouvait endurer aucune, lui enjoignit de fixer immédiatement sa résidence dans le