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sensiblement. Cela, joint au triste état de ma fortune, me décide à essayer de faire quelques affaires, et comme notre ville n’offre pas beaucoup de ressources sous ce rapport, je me suis décidé à passer aux colonies, où j’ai l’espérance d’en trouver davantage. » Ce projet n’était-il, comme on l’a supposé, qu’un prétexte pour cacher sa fuite ? A quoi bon ? La fuite même n’avait pas de motif. La tentation de changer d’état s’accorde mieux d’ailleurs avec les dispositions que nous révèlent d’autres confidences intimes.

En Angleterre, il rencontra l’abbé Caron, ce saint prêtre, dont le nom seul signifiait charité. Ce fut dans le sein de cet homme, devenu « son bon père, » qu’il répandit alors ses peines et ses irrésolutions. « Mon bon ami, lui écrivait l’abbé Caron, je suis bien inquiet de votre santé, qui nous est si chère, mais je le suis encore plus de l’état de votre âme. Je ne saurais trop vous dire, mon cher fils : Paix, confiance, abandon à la volonté divine, douce assurance des secours du ciel… » Et encore, quelques mois plus tard : « Je crois, mon bon ami, qu’il n’est pas prudent de demander à Dieu des croix, et que nous devons nous borner à solliciter l’amour des souffrances, laissant à Dieu le soin de nous exposer à celles qu’il ne jugera pas au-dessus de notre faiblesse… Pourquoi cette vilaine mélancolie ? Est-ce que le bon chrétien n’est pas comme dans un festin continuel ? Est-ce que le simple souvenir de Dieu ne nous donne pas de la joie ? » C’est sans doute sous cette inspiration amicale que le courage lui revint, et que la volonté de recevoir la prêtrise se réveilla de nouveau, mais combien refroidie ! À la fin de 1815, il se décide, dit-il, à « reprendre » l’état ecclésiastique. Il y avait donc renoncé ? Et il écrit à sa sœur ces paroles étranges, et qu’il faut recueillir : « Ce n’est sûrement pas mon goût que j’ai écouté en me décidant à reprendre l’état ecclésiastique ; mais enfin il faut tâcher de mettre à profit cette vie si courte. Ce qu’en donne à Dieu est bien peu de chose, rien du tout, et la récompense est infinie. » C’est donc sans goût, sans attrait particulier, qu’il se résout à ce vœu redoutable, qu’il se lie à des devoirs qui courbent tout l’homme, l’enchaînent au dedans comme au dehors, et ne le lâchent plus ! Ce n’est pas ici, qu’on le remarque bien, la souffrance mystique qui se plaint, qui gémit, qui surmonte la sécheresse même du cœur, et se dévoue sans attrait, mais avec la résolution d’une volonté forte et soumise, aux devoirs de la vie. Embrasser le sacerdoce ne lui était pas un devoir, et il était bien hardi de s’y résoudre sans quelque goût prononcé qui pût paraître l’expression d’une vocation d’en haut. On sent donc ici quelque détermination extrême, qui veut en finir, qui se décide à étouffer des répugnances, à trancher des hésitations trop pénibles ; on sent comme une sorte de désespoir qui se hâte de disposer d’un reste de vie. Peut-on cependant, de ces