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La controverse chrétienne a varié selon les temps. Au berceau de l’église, les premiers apologistes, en contact direct et presque immédiat avec le groupe primitif des chrétiens sortis du judaïsme, portèrent principalement leur argumentation sur l’absurdité et l’immoralité du polythéisme en décadence : c’était l’esprit monothéiste juif qui les inspirait. Saint Justin est, parmi ceux dont les ouvrages subsistent, le plus ancien type de cette polémique offensive. Quand la nouvelle doctrine se fut répandue dans la société grecque, la philosophie grecque vint prendre sa part du travail de développement: les gnoses diverses et ennemies y introduisirent la métaphysique ; Clément d’Alexandrie par ses Stromates, et saint Irénée par son exposé des hérésies, composent les premiers documens de cette seconde époque. À mesure que la doctrine chrétienne s’étend dans le monde romain, d’autres élémens s’offrent à son action, d’autres faces de la vie provoquent son approche : le génie romain, organisateur, législateur et jurisconsulte, s’attache principalement, dans les pères latins, à partir de Tertullien et de Cyprien, aux questions morales et organiques, à retremper les mœurs et à constituer l’église. On sentait que les temps étaient proches, que les Barbares allaient rompre les frontières de l’empire, et qu’il fallait recevoir la force brute avec une force morale renouvelée. Voilà la troisième époque. Au moyen âge, l’étude prend un autre cours. L’église n’a plus à fonder le dogme, il est achevé ; toute-puissante non-seulement dans les esprits, mais dans l’état, elle resserre la pensée humaine dans l’unité ; nul ne reste impuni à contester ce qu’elle enseigne. La controverse proprement dite cesse. Alors donc l’intelligence n’a plus à chercher la foi : la foi est pour tous le point de départ, la donnée admise, certaine, absolue ; mais comme l’esprit ne peut s’endormir dans une lettre morte, la foi se met à chercher l’intelligence d’elle-même : fides quœrens intellectum. Dans ce nouvel exercice, l’esprit, enchaîné d’un côté, se pousse d’un autre ; moins il lui est permis de dépasser le cercle tracé, plus il s’évertue à creuser au milieu. C’est ainsi que saint Anselme, qui est à la tête de ce mouvement dans la renaissance du XIIe siècle, tout en ne cherchant que l’intelligence de la foi, devient le précurseur de Descartes, et qu’Abélard, plus aventureux, en partant du même principe, inaugure le rationalisme.

Nouveau et plus radical changement après la réforme du XVIe siècle : mille causes ont élargi de fait la liberté de penser et de dire, et comme le but principal de cette réforme est d’abattre l’autorité en lui arrachant l’interprétation des saints livres, il en résulte que ces livres mêmes, la canonicité, l’authenticité, le sens des textes sacrés, sont livrés à la dispute. De là toute la critique moderne. À ce vaste