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peut être vrai de quelques-uns, mais non pas de tous, car il y en a très certainement qui se trompent avec sincérité. » Il n’y a donc qu’un argument : c’est l’autorité, qui est un fait, et qui du premier bond vous porte au cœur de la forteresse ennemie. C’est cette tactique que Lamennais expliquait dans une lettre à Joseph de Maistre : « Depuis que la raison s’est déclarée souveraine, il faut aller droit à elle, la saisir sur son trône, et la forcer, sous peine de mort, de se prosterner devant la raison de Dieu. » Et plus clairement dans l’Essai : « C’est ce qu’il faut montrer à l’homme pour humilier sa confiance superbe ; il faut le pousser jusqu’au néant pour l’épouvanter de lui-même. Il faut lui faire voir qu’il ne saurait se prouver sa propre existence, comme il veut qu’on lui prouve celle de Dieu ; il faut désespérer toutes ses croyances, même les plus invincibles, et placer sa raison aux abois dans l’alternative ou de vivre de foi ou d’expirer dans le vide. »

On comprend que dès qu’on renonce à confirmer par l’histoire et par les preuves qui conviennent à l’histoire un symbole historique de sa nature, il faut absolument en venir à ce fidéisme qui tranche l’examen et se passe de démonstration. On le comprendra mieux encore, si nous faisons connaître une autre forme du même système, ou plutôt le même système élevé à une plus haute puissance. Celui-ci retranche de la théorie de Lamennais l’autorité même du genre humain, et pose du premier coup, sans cet intermédiaire assez gênant, l’autorité de l’église comme point de départ de toute certitude. Rétractée sur certains points saillans par l’auteur, M. l’abbé Bautain, cette théorie est loin d’être éteinte ; l’esprit en reste au fond de beaucoup d’écrits philosophiques, et y restera aussi longtemps que la cause qui l’a produit ne sera pas détruite, aussi longtemps, veux-je dire, que la controverse catholique n’entrera point à pleines voiles dans l’océan de la critique religieuse dont nous avons indiqué plus haut l’orageuse étendue.

Ceux qui voulaient, selon l’ancienne méthode, que la raison précédât la foi, et qui en conséquence cherchaient d’abord à prouver l’authenticité et la véracité des livres évangéliques, pour y trouver une autorité divine transmise à une autorité humaine interprète du dogme, et conduire ainsi le néophyte par la conviction rationnelle au seuil de la foi théologique, ceux-là, M. l’abbé Bautain les appelait des théologiens rationalistes. Tout cela pour lui était vain et ne communiquait aucune certitude réelle. « Le raisonnement seul, disait-il, ne peut démontrer avec certitude l’existence du Créateur et l’infinité de ses perfections, le témoignage ne donne qu’une assurance humaine, raisonnable, probable, mais non certaine. La raison étant la même dans tous les hommes, chacun d’eux jugera d’après les mêmes lois. Tout homme peut se tromper. Le jugement du grand