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Un des plus éminens écrivains de l’Angleterre moderne, Samuel Taylor Coleridge, était intimement lié avec Allston. Celui-ci étant tombé malade à l’improviste, Coleridge vint, dans l’auberge où il était retenu, partager avec Leslie le soin de veiller leur ami commun. Ce fut là qu’ils se lièrent. Dès ses premières conversations avec Coleridge, le jeune Robert se sentit fasciné. « Son éloquence, dit-il, jetait une lumière éclatante et nouvelle sur la plupart des sujets qu’il traitait, et quand il s’élançait à des hauteurs inaccessibles pour moi, la mélodie de sa voix, le caractère expressif de son geste, me forçaient encore à l’écouter avec plaisir. J’étais flatté d’être jugé capable de le comprendre. »

Nature éminemment paisible, douce, déférente, Leslie suivait patiemment la route qu’on lui traçait ; il écoutait sans sourciller les rudes remontrances des patrons qu’il avait choisis : West, sir William Beechey et les autres. Tous le poussaient à l’étude traditionnelle de « l’antique » et du « nu. » West lui faisait faire son portrait, qu’il lui payait six guinées, religieusement dépensées par le jeune peintre en portraits gravés d’après Van Dyck et sir Joshua Reynolds. On dirigeait aussi ses lectures, et il s’abreuvait aux plus hautes sources : Homère, Milton, Dante (en 1813, notons ceci) ; quant à Shakspeare, il le connaissait de longue date, et un de ses premiers tableaux admis à l’exhibition de la Royal Academy fut un Macbecth. En même temps il lisait beaucoup de romans, et ses prosateurs favoris étaient Swift et Smollett. L’inspiration poétique et les enseignemens d’un ordre plus positif se faisaient ainsi contre-poids. Il dut sans doute à ces derniers de reconnaître sa vocation réelle, et, destiné à la peinture de genre, à l’illustration anecdotique, de ne pas se laisser duper, comme Haydon entre autres[1], par l’ambition du « grand art. » Peut-être aussi fut-il détourné de cette voie par le sort fâcheux de son second tableau, la Sorcière d’Endor, que refusa en 1814 le jury de la British Institution. West lui vint en aide, dirigea les retouches de cette œuvre imparfaite, et la fit acheter à sir John Leicester (depuis lord de Tabley) 100 liv. sterl. (2,500 fr.). Averti par cet échec, Leslie redoubla d’application. Travaillant à l’académie dite des Antiques sous la direction de Fuseli, il reçut de sa main, en 1816, deux, médailles d’argent, en quelque sorte ses « premiers galons. » Voici ce qu’il dit de Fuseli, un des maîtres de la peinture fantastique :


« Avant mon départ d’Amérique, je professais déjà pour son double talent de peintre et d’écrivain le respect le plus sincère. Hamlet et le Fantôme,

  1. Voyez sur Haydon la Revue du 15 août 1855.