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En 1854 (13 mai), écrivant à Washington Irving, il passe la revue de leurs anciens amis de jeunesse, et n’en trouve plus que trois de vivans : ce sont deux comédiens (Peter Powell et J. Russel), puis l’éternel Samuel Rogers, alors arrivé à sa quatre-vingt-onzième année. « Sa mémoire faiblit un peu, mais il est encore aimable, et reçoit toujours beaucoup de monde… Quant à moi, continue Leslie, je suis mieux portant que je n’ai jamais été, grâce à mon médecin et aux soins qu’il me fait prendre de moi-même. » Cette année-là, il peignait une scène tirée de Pope (the Rape of the Lock) ; l’année suivante, une scène de Don Quichotte [Sancho Panza and don Pedro Rezio). Les génies inspirateurs qui avaient fait sa fortune de peintre n’eurent pas à se plaindre de sa fidélité reconnaissante.

Sa vieillesse, entourée d’estime et d’affection, en était comme radieuse. On l’entrevoit, dans sa correspondance, aux derniers jours de sa vie (1857), étudiant les vertes avenues de Hampton-Court pour les reproduire sur une toile où il veut représenter, d’après Walter Scott, l’Entrevue de Jeanie Deans et de la reine Caroline. Les daims familiers viennent prendre leur nourriture dans ses mains amies. Sa famille l’entoure. Il vient de marier une fille chérie[1]. L’un de ses fils (Braddy) prospère comme ingénieur ; un autre (George) s’adonne décidément à la peinture. Tout est bien, tout sourit à l’heureux et modeste Leslie.

En 1859, un grand chagrin le frappe. Sa fille Caroline, dont la santé délicate le préoccupait sans cesse, meurt à la fleur de l’âge et presqu’au lendemain de son heureux hyménée. Le pauvre peintre se réfugie d’instinct à Petworth, tout peuplé de ses meilleurs souvenirs, et où il lui semble que l’image du bonheur passé le gardera contre les atteintes de la tristesse présente. Il y porte la flèche empoisonnée. Deux mois plus tard, elle l’avait couché dans le tombeau.

« Le lendemain du jour où l’Académie ouvrit les portes de l’exhibition, tandis que le public se groupait devant les deux dernières toiles de Leslie[2], — alors que quelqu’un peut-être remarquait la défaillance de son talent, — et qu’un spectateur plus attentif, plus sympathique, notait en revanche les nobles qualités dont ces œuvres de décadence gardaient encore l’empreinte, — le peintre, nous dit M. Taylor, gisait, mort et déjà glacé, au milieu de sa famille éplorée. »

Ce fut en effet le 5 mai 1859 que Leslie rendit à Dieu son âme affectueuse, aimante, pure de toute malveillance et de toute jalousie.

  1. Caroline Leslie ; devenue mistress Fletcher.
  2. Hotspur et lady Percy Henry IV, première partie, acte II, scène III, — et la Jeanie Deans dont il vient d’être question.