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places carrées sans arbres, églises nombreuses surchargées de dorures et d’ornemens d’un goût douteux. Seulement on a introduit à San-José le pavage et l’éclairage au moyen de réverbères, deux avantages très rares dans l’Amérique centrale. Depuis quelques années, il s’y construit des maisons à un étage, distribuées à l’européenne[1]. La ville occupe une espèce de plate-forme circulaire autour de laquelle se creusent les plus gracieuses vallées, de sorte que toutes les rues ont pour perspective une pente verdoyante et aboutissent à des allées de parc anglais coupées de ruisseaux et de rochers. L’absence de voitures et de mouvement rend le séjour de cette ville un peu triste ; mais quand une fois on est entré dans ce courant monotone de la vie tropicale, on. y trouve un charme réel. San-José, du reste, renferme assez de ressources pour satisfaire à peu près toutes les exigences du comfort. Ses intérieurs riches sont meublés à la française ou plutôt à l’américaine, car ce sont les États-Unis qui y pourvoient. On y trouve des journaux dans toutes les langues[2]. Il s’y donne peu de fêtes, les mœurs nationales ne le comportent pas ; mais on peut voir la population tout entière le soir, au moment de la fraîcheur, réunie sous les galeries extérieures ou rassemblée pour les cérémonies religieuses si fréquentes dans les pays de race espagnole.

J’étais précisément arrivé à San-José en pleine semaine sainte. On sait à quels spectacles naïfs, quelquefois grotesques, donnent encore lieu les processions traditionnelles de cette semaine. Elles m’ont permis de voir défiler devant ma porte toutes les classes de la population, accourues de plusieurs lieues à la ronde. Les membres du gouvernement faisaient partie du cortège. J’avais déjà remarqué, dans la cathédrale, le trône présidentiel et les sièges des ministres placés dans le chœur, en face du dais épiscopal[3], témoignage du caractère public que la religion a conservé aux yeux du peuple. Ces processions, qui duraient plusieurs jours, étaient suivies également par les hommes et par les femmes, les classes supérieures en habit

  1. Le président actuel, don José Maria Montealegre, venait précisément de faire bâtir une de ces nouvelles maisons qui doivent dans un temps donné modifier profondément la physionomie de la ville.
  2. Il se publiait en outre trois journaux à San-José : la Cronica de Costa-Rica, le journal officiel ; l’Album semanal, l’organe de l’opposition, et une petite feuille satirique en prose et en vers intitulée El Gato le Chat sans compter quelques publications isolées, presque toutes de l’opposition et jouissant d’une entière liberté.
  3. La circonscription religieuse de San-José dépendait autrefois du siège de Léon, dans le Nicaragua. Ce n’est qu’en 1850, par une bulle du pape Pie IX, qu’elle a été érigée en un diocèse séparé, dont la juridiction comprend tout le territoire de la république. Le titulaire du nouvel évêché est Mgr Llorente, dont les démêlés avec M. Mora ont eu quelque retentissement, et ne seraient pas étrangers peut-être à la dernière révolution.