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pas d’ailleurs à se prononcer elle-même de la façon la plus significative. Lorsque nous rentrâmes le lendemain à San-José, M. de Vars et moi, nous trouvâmes la ville tout occupée des préparatifs d’un bal qui m’était donné par le chef de l’état au palais même du gouvernement. C’était encore à la France que s’adressait cette manifestation. La fête annoncée semblait du reste fermer la période des deuils publics, et elle empruntait à la présence des envoyés de Nicaragua et de San-Salvador un caractère politique d’union centro-américaine sous le patronage de l’Europe. Elle me rappela nos solennités officielles du même genre. Il y avait peu d’uniformes, quoique tous ceux de la république fussent présens, mais ils étaient tous très élégans. Les fonctionnaires supérieurs ne portaient que de simples habits noirs, sans décoration. Seulement, sur quelques rares poitrines, soit de magistrat, soit d’officier, brillait une petite croix d’or, attachée avec un ruban rouge, distinction exceptionnelle créée par M. Mora exclusivement pour les grands dévouemens de la guerre nationale, et que lui-même ne portait pas. En revanche, les toilettes féminines étaient là ce qu’elles sont partout où le luxe européen a pénétré, un mélange éclatant de soie et de gaze, dont Lyon et Tarare avaient fait tous les frais, et dont les vives couleurs étaient encore relevées par le type espagnol des danseuses. Peu de cérémonies, du reste ; une grande simplicité de paroles et de manières. On sait que les habitudes castillanes tolèrent la cigarette, même sur les lèvres des femmes. Il y avait un salon réservé où elles se livraient à cette innocente distraction et la faisaient partager à leurs visiteurs. Ce détail de mœurs locales et la variété des nuances de la peau de cette élite de la population costa-ricaine me rappelaient seuls que nous étions à plus de deux mille lieues de la France, sur un plateau perdu, en dehors de tous les grands chemins visités jusqu’ici par le courant de la civilisation.

Ce fut à cette fête que je vis pour la première fois le général don Maximo.Jérès, qui a joué un rôle si étrange dans les événemens du Nicaragua. C’était un homme de trente-cinq ans, d’une allure juvénile, un peu inquiète, les yeux petits, vifs et mobiles, la figure intelligente, mais respirant l’incertitude et la défiance. Ses yeux seuls expliquaient sa nature d’esprit et sa vie publique. On sait qu’il a été tour à tour le complice, le lieutenant de Walker, puis son ardent