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s’évanouit derrière un massif de forêts, et un nouvel horizon s’ouvrit devant nous avec une splendeur indescriptible : c’était le golfe de Nicoya, épanchant ses flots bleus dans un bassin de verdure d’une forme ovale très allongée, avec les pitons de la Herradura pour limites au sud, une presqu’île montagneuse à l’ouest, et au-delà l’Océan sans fin, uni et miroitant comme un cristal. Les derniers échelons de l’Advocate allaient se fondre dans une délicieuse plaine traversée dans toute sa longueur par plusieurs rivières, et qui était elle-même un océan de verdure. J’avoue que l’idée ne me vint pas d’aller visiter les mines d’or. La beauté lumineuse de ce panorama, au bout duquel on distinguait vaguement le groupe de Punta-Arenas et plusieurs bâtimens à l’ancre, m’avait fait oublier tout le reste.

Jusque-là, nous n’avions traversé que des villages isolés ou des stations solitaires, dont l’une porte le nom d’Athènes (Atenas). Au pied de l’Advocate, nous devions retrouver la population et le mouvement. Une petite ville, appelée Esparza, s’était pavoisée et avait préparé son artillerie pour recevoir le président. Les drapeaux français n’y manquaient pas plus qu’à Alajuela. Vingt et un coups de canon saluèrent l’entrée du chef de l’état. Un banquet nous attendait dans une maison particulière, dont la cour intérieure regorgeait de fleurs. Ce voyage de M. Mora, dont on espérait de grands résultats, semblait être une fête nationale. Toutes les autorités de Punta-Arenas étaient venues au-devant de lui, ayant à leur tête le commandant de place, le colonel car la s, frère du ministre de la guerre. Cette nouvelle escorte ajoutait à l’animation du cortège. Un détail de la route me fit trouver notre dernière étape ravissante. À peine avions-nous marché une lieue au-delà d’Esparza, à traversées bois de mimosas, de palmiers et d’ébéniers, que nous arrivâmes devant de grands bâtimens construits au-dessus de la plus gracieuse rivière. Nous trouvâmes là tout un petit monde industriel : une scierie mécanique, une vaste exploitation de bois et un petit chemin de fer, le tout dirigé par quelques Anglais. Le chemin de fer allait jusqu’à Punta-Arenas, en ligne droite comme le sillon d’une flèche, à travers les arbres pressés d’une forêt vierge étonnée de cet hôte nouveau. Rien de plus modeste et de plus primitif que l’installation de cette voie. Pas de gare, pas de stations, pas d’employés spéciaux ; une trouée de 2 mètres de large et de trois lieues et demie de long dans la forêt, deux rails posés sur des troncs d’arbres non dégrossis, quelques petits ponts de bois dont les planches n’étaient point ajustées, et une demi-douzaine de voitures-omnibus, simplement garnies de bancs et couvertes d’un toit de bois vernis. Les besoins du service n’exigeaient pas encore la locomotive ; ce tronçon de voie nouvelle, sans issue, ne pouvait compter sur une grande circulation de voyageurs.