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agréable séjour qui existe depuis le Gallao jusqu’en Californie. Nous devions y rester deux jours au milieu des fêtes, en attendant l’arrivée du Colombus. Ces deux jours font partie de mes plus heureux souvenirs en dépit des 32 degrés Réaumur, auxquels je m’étais bien vite habitué.

Il est vrai que je ne devais pas être complètement étranger à l’éclat de ces fêtes, grâce à la présence dans la rade du Saint-Vincent-de-Paul, véritable frégate commerciale, le plus beau navire qui eût jamais paru dans ces eaux. Le capitaine de ce navire, M. Cazalis, s’était trouvé à San-José au milieu des démonstrations dont j’avais été l’objet, et, comme tous les Français établis dans le pays[1], il était venu m’offrir ses services. Je ne savais comment reconnaître les preuves de bienveillance et de considération dont j’avais été comblé par M. Mora ; notre itinéraire, convenu d’abord à travers le Guanacaste, pour explorer en passant l’isthme de Salinas, avait été modifié par l’arrivée des plénipotentiaires ; j’eus l’idée de profiter de notre passage forcé à Punta-Arenas pour répondre à l’hospitalité costa-ricaine par une hospitalité de quelques heures toute française. M. Gazalis entra dans ces vues. Deux autres bâtimens français se montrèrent ravis de s’associer à une manifestation où le drapeau national flotterait à côté de celui de Costa-Rica, confondant leurs mêmes couleurs. M. Mora avait accepté mon invitation. Toute la ville de Punta-Arenas prit part à cette fête de fusion internationale. Jamais le golfe profond du vieux cacique Nicoya n’avait assisté à un pareil spectacle : toutes les embarcations à la mer, la musique précédant le canot présidentiel, onze navires pavoises, le pavillon costa-ricain à tous les mâts de misaine et le canon tonnant de minute en minute, sans interruption. M. Mora fut reçu en souverain à bord du Saint-Vincent-de-Paul avec une suite de plusieurs centaines de personnes. Certes je ne payais point ainsi ma dette à l’homme à qui je devais mon succès, mais je lui prouvais du moins qu’il ne dépendrait pas de moi que le pavillon de la France ne fût toujours enlacé à celui de Costa-Rica.

  1. Il n’y a pas moins de cinquante Français établis à San-José ou dans les environs, tous à leur aise pour ne pas dire tous riches. Il n’y a du reste rien de plus facile que de gagner de l’argent à Costa-Rica, quand on sait un métier quelconque. Le moindre ouvrier est payé une piastre par jour. Un domestique qu’on ne nourrit pas se paie aussi une piastre, soit 150 fr. par mois. Le commerce ne gagne jamais moins de 100 pour 100, souvent 200 et même 300. Les forgerons, charrons, charpentiers, modistes, couturières, etc., demandent à peu près ce qu’ils veulent. Le blanchissage se fait au prix courant d’un réal la pièce 62 cent. 1/2, et il se fait mal. Les mécaniciens et les industriels, n’ont pas de prix. Un mécanicien de Punta-Arenas était engagé à raison de 5 piastres par jour 25 fr., et les ouvriers spéciaux de la distillerie gagnaient de 15 à 20 francs.