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durer vingt-quatre heures. Nous étions partis le 21 avril, à dix heures du matin ; le 22, à sept heures et demie, par une température délicieuse, nous arrivions en face d’un mamelon rocheux, derrière lequel se cachait San-Juan-del-Sur, la première ville du Nicaragua sur cette côte, l’ancienne tête occidentale du transit américain. Le Colombus hissa le pavillon costa-ricain, et tira le coup de canon du signal. Personne ne répondit. On doubla le mamelon. Les maisons apparurent au fond d’une anse circulaire, je distinguai un drapeau sur la plage et un autre au-dessus d’une maison voisine : mais ni l’un ni l’autre n’appartenait au Nicaragua. C’était le drapeau étoile des États-Unis qui s’étalait fièrement sur le sol de sa conquête anticipée. Je ne pouvais en croire mes yeux, je demandai au président si je ne me trompais pas. Ce drapeau d’invasion avait été planté un jour par les bandes de Walker, et depuis la délivrance du pays personne n’avait osé y toucher, tant la terreur qu’inspiraient les Américains était profonde. Nous étions bien loin moralement du sol généreux, libre et prospère, où s’épanouit Punta-Arenas. Avant même d’aborder au Nicaragua, la faiblesse, la misère et la désolation se montraient à nu. Pas un navire dans le port, pas un habitant sur la plage ; on eût dit un village abandonné. Une bonne nouvelle cependant m’attendait en présence de ces ruines fumantes de la guerre civile et du flibustérisme ; elle était apportée par le général Bonilla, commandant supérieur de la province, qu’envoyait le président du Nicaragua à son collègue de Costa-Rica. Il nous apprit que le général Martinez venait d’arriver à Rivas, et que le traité Cass-Irizarri n’avait réellement point été ratifié. La non-ratification faisait disparaître le seul obstacle sérieux du canal et la seule pierre d’achoppement de la conciliation préparée. Puisque le général Martinez, surveillé par les Américains et mis en tutelle par la majorité de son congrès, avait échappé à cette double pression pour venir à Rivas à l’appel de M. Mora, c’est qu’il était disposé à s’entendre avec lui pour sauver son pays. Je ne pouvais désirer une situation plus entière et plus favorable au milieu du trouble des esprits et de la lutte acharnée des influences à Léon, à Grenade et à Managua.


XI. — RIVAS.

Pour comprendre ce qui se passait au Nicaragua, il faut se souvenir que le général Mirabeau-Lamar, ancien président du Texas, devenu ambassadeur des États-Unis, s’était présenté à Managua deux ou trois mois auparavant, tenant d’une main le traité Cass-Irizarri, nouvellement imaginé à Washington, et de l’autre une réclamation de 25 ou 30 millions, pour dommages causés aux Américains é