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Grouchy, l’un des aïeux du maréchal qui fut notre contemporain. Jean, de Grouchy eut à l’âge de quatre-vingt-un ans l’insigne bonheur de mourir entouré des siens sur la brèche par laquelle ils rentrèrent dans leur ville délivrée. Cent quatre des assaillans y périrent, et c’est en leur mémoire que la grand’messe se sonne à Harfleur par cent quatre coups de cloche[1]. Reprise en 1440 par les Anglais la ville leur fut enlevée pour toujours en 1450 par le comte de Dunois.

Harfleur avait dans la puissance d’envasement de la Seine un ennemi plus redoutable que les Anglais, et chacun des progrès de l’envasement était le signal du retrait de quelque faveur de la couronne. En 1710, la ville fut soumise à la taille, et cent familles la quittèrent ; elle ne s’est pas relevée de ce coup. « Le port, disait en 1703 un inspecteur général des fortifications, n’est plus qu’une prairie traversée par la Lézarde, et l’on y distingue encore tous les fondemens de l’enceinte. Cette ville, qui fut autrefois l’arsenal de la marine et la clé du royaume, ne présente plus à l’œil qui la cherche qu’un port comblé où paissent les troupeaux, des maisons chancelantes, des murs foudroyés et des ruines immenses. » Les maisons qu’on a conservées sont consolidées, et les ruines mêmes, sauf celles des anciennes portes de mer, ont péri… Etiam periêre runiœ. C’est tout ce qu’on peut ajouter pour compléter le tableau de l’état actuel.

La traînée de galets derrière laquelle s’est déposée l’alluvion de l’Eure se recourbe en bec d’ancre devant Harfleur. La pointe du Hoc est aujourd’hui fixée par l’interception devant Le Havre du courant de galets qui la nourrissait : elle couvre des vents d’aval une anse de 2,500 mètres d’ouverture, de 1,500 de profondeur, réduite par les envasemens à ne recevoir dans les meilleurs momens que quelques navires de 120 tonneaux qui vont décharger de la houille le long des quais solitaires de la Lézarde.

D’Harfleur à la pointe de Tancarville, les escarpes du plateau cauchois n’offrent guère qu’une craie recouverte d’un gazon fin ; les ouvertures de quelques fraîches et courtes vallées en rompent la monotonie. À l’approche de Tancarville, le paysage change ; de beaux bois couronnent le cap, dont le revers oriental présente au-dessus de sa longue terrasse le célèbre château avec ses ruines de trois âges, son encadrement d’arbres séculaires, sa ceinturé de précipices. J’ose conseiller aux chercheurs de sites grandioses et

  1. Pour perpétuer le souvenir de cet événement, la famille de Grouchy avait fait en faveur de l’église d’Harfleur une fondation qui a été abolie en 1793. Le maréchal de Grouchy a renouvelé avant de mourir la donation à l’église et au bureau de charité ; elle consiste en une rente perpétuelle de 240 francs. On célèbre chaque année le 4 novembre un service anniversaire pour les libérateurs d’Harfleur, et l’on distribue aux pauvres cent quatre pains et cent quatre bouteilles de vin.