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l’ennemi n’est d’ailleurs pas la seule que frappe le bombardement d’un port de commerce : qu’on regarde la variété des pavillons qui couvrent les bassins du Havre ; les deux mondes y sont représentés, et les bombes qu’on y lancerait tomberaient sur l’Allemagne, l’Espagne, la Russie, la Scandinavie, les deux Amériques, tout comme sur la France. On bombarde Copenhague quand on sait le Danemark hors d’état de riposter ; on y regarde à deux fois avec une nation qui possède une marine et une artillerie capables de rendre coup pour coup, d’écraser ville pour ville. La bonne conduite des affaires intérieures du pays, le maintien attentif et cordial des relations avec le continent et avec le Nouveau-Monde auront désormais, pour prévenir des attaques barbares, une efficacité qui leur a manqué dans le passé.

Quelle que soit néanmoins la confiance dans les progrès de la civilisation appliquée à la guerre, les moyens directs de défense ne doivent pas être négligés. Sous ce point de vue même, les nouveaux procédés de destruction n’ont rien de décourageant ; il n’en est pas un seul qui ne puisse être retourné contre ceux qui s’en servent, et les coups reçus à la mer auront aujourd’hui comme autrefois de bien plus terribles effets que ceux qui sont portés contre la terre ; le même projectile qui coule un vaisseau ne fait qu’une brèche sur une muraille et s’amortit dans un gazonnement. L’allongement des portées n’y fait rien ; il est acquis à l’assiégé comme à l’assaillant, et quand celui-ci tirera du large sans être seulement appuyé sur des ancres, l’incertitude de ses coups, accrue par le mouvement de la mer, sera bien plus grande que par le passé. La seule conséquence à tirer pour Le Havre des progrès récens de l’artillerie est que la sûreté de la place n’est plus dans des remparts qu’on a grande raison de démolir : les garanties en doivent être assises sur le cap de La Hève, à Quîllebeuf, sur le banc de Trou ville, qui, situé à six milles de la place, croiserait ses feux avec les siens, sur les bancs de l’Éclat et d’Amfard, dont les forts depuis longtemps projetés seraient aujourd’hui cuirassés comme les batteries flottantes, dans tout cet ensemble enfin de positions stratégiques et commerciales qui font du golfe dont nous venons de parcourir les rives une des parties les plus intéressantes de la Seine maritime.

J.-J. Baude.