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aucun flagrant délit ne leur fût-il imputable. Ces agens privilégiés, qui peuvent disposer momentanément avec un plein pouvoir de la liberté des citoyens, sont les gendarmes et les officiers de paix d’après un arrêt mémorable de la cour de Paris du 27 mars 1827. Cet arrêt ressuscitait d’anciennes lois dont le code n’avait fait aucune mention, et donnait même force de loi à des ordonnances royales : il a donc laissé au pouvoir toute latitude pour étendre le droit d’arrestation et l’attribuer à de nouveaux agens, de telle sorte que notre législation, rendue comme à dessein confuse, ne peut plus guère être d’aucun secours pour le citoyen arrêté sans mandat. Le citoyen arrêté sans mandat, hors le cas de flagrant délit, ne peut savoir qui a le droit ou qui ne l’a pas de lui dire : Suivez-moi.

C’est à l’occasion d’un article publié par un avocat à la cour de Paris, M. Isambert, que cet arrêt intervint. L’auteur avait voulu démontrer que, sauf dans le cas de flagrant délit, le droit d’arrestation sans mandat n’appartenait à personne, et que dès lors tout citoyen pouvait refuser d’obéir à l’agent de la force publique qui prétendrait l’arrêter sans lui représenter l’ordre d’arrestation. Il fut traduit devant les tribunaux pour répondre de cette doctrine, et la cour royale, en le déchargeant de toute condamnation, proclama solennellement le droit qu’il avait contesté. Les avocats du prévenu étaient M. Barthe et M. Dupin, et tous deux invoquaient avec ardeur le droit à la résistance. « Si un agent qui n’est pas autorisé à m’arrêter, disait M. Barthe, me demande ma bourse, serai-je obligé de la lui donner ? Eh bien ! si je fais autant de cas de ma personne que de mon argent, accordez-moi le droit de défendre ma personne. » Et M. Dupin ajoutait avec la véhémence pittoresque de son langage libéral d’alors : « On peut donc repousser l’agent, et si dans ce débat il en coûte une oreille à Malchus, tant pis pour Malchus ! » La cour se garda de donner raison à.ces argumens, et elle accorda à la police administrative, représentée, disait-elle, par les gendarmes et les officiers de paix, le pouvoir de se passer d’un mandat pour disposer de la liberté d’un prévenu. « Dans la fable du loup et de la chèvre, faisait observer l’un des avocats de M. Isambert, il ne suffit pas de dire : « Foin du loup, » pour entrer ; « montrez-moi patte blanche, ou je n’ouvrirai pas, » répond le chevreau, car


… patte blanche est un point
Chez les loups, comme on sait, rarement en usage. »


La patte blanche, pour le prévenu qu’on veut arrêter, c’est le mandat, et l’injonction qui lui est faite par certains agens tient lieu de mandat : il peut donc être obligé de se laisser arrêter sans qu’on lui justifie que son arrestation soit légalement ordonnée.