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elle les expose à des tentations périlleuses contre lesquelles leur bon sens et leur moralité ne peuvent les défendre que si ce bon sens et cette moralité sont soutenus à la fois par la fermeté des gens de bien dans les classes supérieures et par la force des institutions. Quand le grand nombre s’abandonne et qu’on l’abandonne à ses mauvais instincts, quand il n’est plus soumis à d’autres lois que sa volonté, il devient un tyran imprévoyant et fantasque. La souveraineté absolue ne convient point à la faiblesse humaine ; les meilleurs sont enclins à en abuser, et n’y ont aucun titre. Le vulgaire ne saurait en être plus digne, et en effet, partout où il exerce son empire, il prétend dominer à lui seul et pour lui seul ; il se croit dispensé d’avoir raison et droit ; il subordonne ses intérêts mêmes à ses fantaisies ; il s’habitue à n’accepter pour chefs que ceux qui obéissent à son bon plaisir, et il en vient alors à se choisir des gouvernans médiocres ou indignes, à bannir de ses conseils les intelligences et les existences qui dépassent la taille moyenne, à peser sur elles de sa masse écrasante, au risque de les énerver assez complètement pour qu’elles lui fassent défaut le jour où, dans un accès de bon sens provoqué par un grand péril public, il sentira le besoin d’être conduit par des hommes supérieurs. Une politique sans suite et sans souci de l’avenir, des lois instables, un pouvoir méprisé, une société à la fois agitée et uniforme, les esprits nivelés encore plus que les conditions, tels sont les mauvais effets que l’état social démocratique peut entraîner, qu’il doit entraîner partout où il ne trouve pas un puissant correctif dans les mœurs et dans les lois.

Après la révolution de 1843, la France a eu le sentiment, un sentiment profond, de tous les périls et de toutes les hontes auxquels l’exposait le déchaînement des passions et des idées démocratiques. La bonne volonté et le courage ne lui ont pas manqué dans la lutte qu’elle a soutenue alors contre le mal dont elle se sentait atteinte ; mais les institutions lui ont fait défaut, et elle s’est vite lassée de combattre héroïquement sans l’appui du moindre rempart, de se défendre elle-même et à elle seule. Le pouvoir absolu répondrait-il mieux aux besoins d’un grand pays que la liberté mal organisée ? Serait-il le soutien sur lequel il devrait s’étayer à tout jamais pour ne pas tomber du côté où il penche ? Pourrait-il lui donner ce qu’il regarde comme le bien suprême, la sécurité ? Je ne le pense pas. Le pouvoir absolu ne saurait combattre les mauvais instincts des sociétés démocratiques. Par nature il les partage, et par politique il les flatte pour faire oublier le joug. Comme la démocratie, le pouvoir absolu a pour devise le principe corrupteur : Stat pro ratione voluntas, comme elle, il avilit les âmes en les habituant à se soumettre à la loi du bon plaisir ; comme elle, il est l’ennemi de toute indépendance d’esprit et