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si ingrat pour la poésie, occupe une grande et noble place dans les strophes du Mahawanso. Sir James Emerson Tennent a traduit le passage dans lequel sont racontés les derniers momens de ce prince, dont toute la vie avait été consacrée à des œuvres de piété. « Étendu sur son lit, le visage tourné vers un temple qu’il avait élevé, il dit à l’un de ses compagnons d’armes qui avait embrassé la prêtrise : Aux temps passés, avec mes dix guerriers, j’ai livré des batailles ; aujourd’hui me voilà seul à commencer un dernier combat, et c’est contre la mort ! Il ne me sera point donné de vaincre mon dernier ennemi ! — Souverain des hommes, lui répondit le prêtre, à moins de subjuguer le royaume du péché, vous trouverez dans la mort un ennemi invincible ; mais rappelez le souvenir des actes de piété qui ont honoré votre vie, et vous serez consolé. — Alors le secrétaire du roi ouvrit le registre sur lequel était inscrit le catalogue des œuvres pies, et il lut que cent wiharas (monastères), moins un, avaient été construits par le roi, ainsi que deux grands temples et le palais de bronze d’Anarajapoura, que dans les jours de famine le roi avait livré ses bijoux pour donner du riz à son peuple, que par trois fois il avait habillé tout le clergé de l’île en fournissant trois robes à chaque prêtre, qu’il avait quatre fois accordé à l’église nationale la propriété du sol pendant sept jours, qu’il avait fondé des hôpitaux pour les malades et fait l’aumône aux indigens, qu’il avait donné des lampes pour les temples et entretenu des prédicateurs dans toute l’étendue de ses états. — Tout cela, dit le roi mourant, ne m’apporte aucun soulagement ; j’étais alors puissant et riche. Deux souvenirs seulement me consolent à ma dernière heure : ce sont deux aumônes que j’ai faites au temps où j’étais pauvre et misérable… Et il expira. » N’est-ce pas là une sainte mort, j’allais presque dire une mort chrétienne ? Il y a dans cette page détachée de la légende cingalaise un parfum de simplicité et de poésie qui sans doute s’est en partie évaporé à travers une double traduction, mais que je n’ai pu m’empêcher de recueillir au milieu des épisodes racontés par l’historien indigène. C’est de l’histoire ancienne à la façon d’Homère, c’est de l’histoire sainte que l’on croirait inspirée de la Bible. Enfin le récit ne possède point seulement ce charme littéraire qui s’attache à une scène émouvante simplement exprimée ; il contient en outre dans ses détails de précieux renseignemens sur l’état politique et religieux de Ceylan à l’époque si reculée où nous reportent les strophes du Mahawanso. On a vu que, dans le catalogue des œuvres méritoires qui devaient faire cortège à l’âme du roi mourant, figuraient en première ligne les hommages rendus à la religion et les bienfaits prodigués aux prêtres. Le bouddhisme avait en effet absorbé tous les pouvoirs,