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donc une de celles dont nous devons nous montrer reconnaissans. Il y a vraiment une candeur touchante dans la manière dont il se présente devant les idées et dans les sollicitations suppliantes qu’il leur adresse pour gagner leur faveur et conquérir ses libres entrées auprès d’elles. C’est un mélange curieux et intéressant de timidité et de hardiesse, de gaucherie naïve et de respect, d’ardeur et d’hésitation, de persistance des vieilles habitudes de l’esprit et de désir de rompre avec ces habitudes. De ce mélange complexe résultent d’inévitables discordances, des transitions trop peu ménagées, des changemens de ton imprévus et parfois contraires à toutes les lois de l’harmonie. La brusquerie succède subitement à la prière, et le dialogue, commencé sur un ton familier, se termine sur un ton lyrique. Le poète chante à son insu, même alors qu’il veut simplement parler et qu’il a pris la ferme résolution de parler. Ce n’est qu’après des efforts extrêmes qu’il parvient à baisser le ton de cette voix ample et sonore, qui est si bien faite pour retentir au loin et éveiller les réponses de l’écho. Les cordes vraiment musicales de cette voix sont les cordes hautes ; en perdant sa sonorité, elle perd une partie de sa puissance. Les cordes moyennes la font moins bien valoir : les mélodies des paroles prononcées lentement, des chuchotemens, des murmures intimes, des inflexions flatteuses et câlines, lui ont été en partie inconnues jusqu’à cette heure. Lorsque la voix est obligée de passer de la musique grave et solennelle à la musique familière, il faut qu’elle regagne en douceur tout ce qu’elle perd en puissance. Tel est le problème : si M. Quinet ne l’a pas toujours résolu, il l’a toujours parfaitement senti, et il s’est appliqué si courageusement à comprimer et à régler l’essor de cette voix qui tend naturellement à s’élever, qu’il faut une oreille assez exercée à la musique des divers styles pour surprendre ces discordances presque inévitables. L’accent de la candeur domine d’ailleurs toutes ces discordances, et empêche l’esprit du lecteur d’y prêter une trop grande attention. Éveillé par cet accent, l’esprit du lecteur suit avec intérêt l’entreprise du poète et l’encourage de toute sa sympathie lorsqu’il le voit à demi timide, à demi audacieux, se présenter devant les idées et leur adresser une prière que l’on peut résumer ainsi : « Jusqu’à présent, vierges immortelles, je ne vous ai contemplées que derrière un voile et dans le majestueux demi-jour du sanctuaire, et vous n’avez entendu sortir de ma bouche que des hymnes et des dithyrambes en votre honneur ; oserais-je aujourd’hui vous approcher en dehors du temple, assister en spectateur respectueux à vos danses célestes et m’asseoir près de vous sur l’herbe des clairières aux heures où vous racontez les histoires de votre divin décaméron ? Puis-je me permettre cette audace sans avoir à redouter