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néant des offrandes de poussière sépulcrale et de toiles d’araignées. Quelque remarquables cependant que fussent les opinions de la cour et des grands sur l’excellence du néant, les opinions républicaines du peuple les dépassaient de beaucoup en profondeur. Un jour un esclave s’approcha de Merlin et l’avertit de se tenir en garde contre les discours des grands. « Ne les écoutez pas, lui dit-il, ils vous trompent, ce sont tous des traîtres, ennemis de la plèbe. Ils prétendent tout renverser, niveler à ras de terre : n’en croyez pas un mot. Si vous les connaissiez mieux, vous verriez qu’ils ont chacun l’indignité de laisser subsister quelque chose, l’un un demi-fût de colonne pour s’y appuyer en dormant, l’autre un pan de mur, un troisième un débris de tombeau, celui-ci un peu de poterie, celui-là, que sais-je ? une moitié de brique ou une médaille royale. Il n’y a que moi qui vaille ici quelque chose, car j’en veux même à la cendre et à la poussière des sépultures. » Il y a environ cent pages écrites de ce ton, gravement ironiques, tristement enjouées. À mon avis, ce sont les meilleures du livre. Rarement nous avons vu démontrer avec plus de profondeur et de fermeté l’inanité de l’intelligence, lorsqu’elle est séparée du sens moral et de la conscience. M. Quinet a mis une insistance qui l’honore, lui démocrate, dans la démonstration de cette vérité. Il y a du courage à soutenir dans une certaine école que l’intelligence est simplement destructive lorsqu’elle ne prend sa force qu’en elle-même, qu’elle est naturellement sophistique lorsqu’elle est réduite à ses seules ressources, et qu’elle n’a de puissance qu’autant qu’elle est subordonnée. On pourrait mener très loin M. Quinet lui-même, si l’on poussait à bout la vérité qu’il a si ingénieusement enveloppée dans les théories du roi Épistrophius et de ses sujets. Je n’abandonnerai pas cet épisode sans recommander au lecteur le livre qui a pour titre les Dieux changés en Nains. Il y verra ce que deviennent les divinités déchues, et il pourra tirer de la contemplation de leur sort plus d’une leçon de philosophie pratique. S’il lui est arrivé, comme à eux, de perdre la terre et le ciel, il ne sera pas fâché d’apprendre que son malheur n’est pas sans consolation, et qu’il lui reste la ressource de devenir sylphe, gnome ou lutin, de nager dans les flots de l’air au gré de son caprice, de vivre dans le feu comme les salamandres, ou de mener une laborieuse et pratique existence dans les profondeurs de la terre. À bon entendeur, salut !

Cependant, retirée tristement dans sa chambre de verdure, Viviane, comme autrefois Calypso, ne pouvait se consoler du départ de Merlin, et les voyages n’avaient pu arracher du cœur de Merlin le souvenir de Viviane. Les lieux qu’il traversait étaient tout pleins d’elle. Les brises de l’air étaient son souffle, la musique des bois