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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/211

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de notre pavillon : un seul Turc refusa. Quelques années après, on voyait encore sur le mur blanc du pavillon du bey l’empreinte de cinq doigts sanglans ; ce sang, c’était celui du Turc qui refusa de tirer un coup de fusil en l’honneur de notre drapeau. Il avait suffi de deux hommes intrépides pour prendre une ville.

Les cent vingt Turcs qui concoururent à l’expédition de Bone furent tous depuis incorporés à l’élément arabe des chasseurs d’Afrique. Ils y apportaient cet esprit aventureux, un peu romanesque, des races orientales, esprit qui, combiné avec la bravoure française, devait donner au nouveau corps sa physionomie distincte. Un de ces Turcs, nommé Malek, avait mené une vie digne d’un héros de Byron. Né dans l’île d’Elbe et tombé aux mains de corsaires tunisiens, il avait été vendu au bey, qui en avait fait son esclave. L’enfant grandissait, et le bey, ayant reconnu en lui une rare intelligence, lui avait donné un emploi dans son sérail. Or le bey avait une fille nommée Zumla, belle comme une houri. Le jeune esclave la vit, et les deux enfans s’aimèrent. Le malheur voulut qu’un certain Kloughi, Grec de naissance et porte-pipe du bey, surprît leurs rendez-vous. Le misérable se fit acheter son silence par une rente mensuelle de cent sequins. Tous les mois, pendant un an, le pacte fut scrupuleusement exécuté. Un jour vint néanmoins où Malek perdit patience, et un coup de yatagan frappa le Grec au moment même où il comptait ses écus ; puis Malek fit disparaître le cadavre. Il se croyait à l’abri de tout soupçon, et le lendemain il était parti de bonne heure pour faire, au nom du bey, une collecte d’impôts dans quelques villages, quand un esclave dépêché par Zumla vint lui apprendre qu’on savait tout, et que le bey avait envoyé des gardes à sa poursuite. Malek échappa aux gardes, qui suivirent de près l’esclave ; mais il fut blessé dans la lutte, et ne parvint qu’à grand’peine à se tirer de leurs mains. C’est un marabout de l’Algérie qui donna asile au fugitif et qui le guérit. Quand Malek fut hors de danger, le marabout l’accompagna jusqu’à un mille de son habitation, lui remit une bourse contenant vingt douros, un cheval et un chapelet. Il n’est pas besoin d’ajouter que le cheval conduisit aussitôt Malek aux avant-postes français.

Tels étaient les hommes qui combattaient à côté de nous. Il était aussi utile qu’intéressant d’étudier ces mâles caractères. Ce qui mérite surtout d’être signalé dans cette première époque de la formation, c’est l’influence morale qu’exercèrent sur nos cavaliers français la hardiesse et la brillante habileté des cavaliers arabes. Les prouesses de ces cavaliers incomparables devaient naturellement stimuler l’amour-propre de nos Français, les forcer pour ainsi dire à se mettre à leur hauteur, même à les surpasser. Cette émulation géné